Franz Schubert avait écrit :
« Au fond, j’espère bien faire
quelque chose de moi, mais qui peut encore faire quelque chose après
Beethoven ? ». Mort un an seulement après son illustre aîné, son Ouverture dans un style italien, D590,
ouvrait le premier concert de l’OSR dans sa série Symphonie, le 20 octobre
2011. Schubert a sans aucun doute fait quelque chose après Beethoven, à la
puissance duquel il a répondu par une intimité mise en musique qui m’a toujours
semblé impropre au concert. J’aime écouter Schubert seul, le concert n’offrant
par nature pas l’intimité nécessaire à le pénétrer. Schumann d’ailleurs ne s’y
était pas trompé, qui partageait l’affiche de cette ouverture de saison avec sa
Troisième symphonie en mi bémol majeur,
op. 97, dite Rhénane. Schumann, qui
avait dix-huit ans à la mort de Schubert, lui reconnaissait une place majeure
dans la musique de son temps : « Il
n’existe aucune autre musique, hors celle de Schubert, qui soit aussi
remarquable du point de vue psychologique dans la suite des idées et des liens
entre elles. Qu’ils sont peu nombreux, ceux qui ont su, comme lui, exprimer
leur propre caractère à travers des tableaux sonores ; encore plus rares
sont ceux qui ont su tant écrire pour eux-mêmes et pour leur propre cœur ».
Alors que les trois premières symphonies de Schubert sont contemporaines des
septièmes et huitième de Beethoven, ses deux ouvertures dans le style italien
reflètent sans doute davantage l’énorme succès dont jouissait alors à Vienne
Rossini.
Cette entame subtile pleine de
douceur nous entraînait vers le Troisième
concerto pour violon et orchestre, en ré mineur, op. 58, de Max Bruch,
confié à l’archet de Bogdan Zvoristeanu, par ailleurs premier violon solo de
l’OSR. Bruch, héritier du grand romantisme allemand ne sut jamais s’affirmer
face aux compositeurs majeurs de son temps, qui furent Brahms, Liszt ou Wagner.
Seul son premier concerto pour violon a su s’imposer, éclipsant tout le reste
de l’œuvre d’un compositeur très tôt prolifique. Le troisième concerto donné ce
soir recueillit un beau succès le soir de sa création, en mai 1891, à
Düsseldorf, sous la direction de l’auteur et avec le violon de Josef Joachim. De
la longueur des grands concertos de Beethoven ou Brahms, il n’en atteint
certainement pas la profondeur, même si l’écoute en est plaisante, la mélodie
agréable et l’orchestration maîtrisée. Il y manque néanmoins ce petit
supplément d’âme qui pourrait en faire une œuvre maîtresse du répertoire. Il
manquait aussi à Bogdn Zvoristeanu ce même petit supplément d’âme pour incarner
en soliste ce concerto avec l’Orchestre au sein duquel il joue habituellement.
D’une belle sonorité, d’une parfaite tenue, nous avons entendu une belle
interprétation de cette œuvre mais il y manquait une vraie personnalité qui
distingue le soliste du musicien d’orchestre. En choisissant cette pièce, ni
l’orchestre ni le soliste ne se sont fourvoyé pourtant, offrant un choix
judicieux, tant il demeure agréable de pouvoir entendre également des œuvres
rares qui, pour ne pas s’être imposées au firmament de la musique, n’en
demeurent pas moins digne d’être programmées.
Schumann terminait ce concert dans
sa Troisième Symphonie, dite Rhénane. Si Schubert parle à son cœur,
Schumann met en relief les fragilités et les faiblesses de chacun, les siennes
en particulier, qui le mèneront à la folie et à la mort. La lutte incessante de
Florestan et d’Eusebius, les tourments d’un esprit génial que la musique finit
par noyer sous des flots trop puissants pour n’être plus maîtrisés, forment le
fondement de la musique de Schumann. Le Rhin, si présent dans la vie et la mort
du compositeur accompagne ici également son œuvre. La direction de Janowski était
trop sage pour rendre l’ambiance et les tréfonds d’une telle œuvre. Les deux
derniers mouvements notamment, notés Feierlich
et Lebhaft manquaient précisément de
ces caractères là. Il faut savoir aller à l’abîme dans Schumann, non pour le
surplomber mais pour y plonger, s’y laisser tomber, griser par la chute, la
perte de maîtrise, la peur, l’amour de Clara, partir dans les flots puissants
du Rhin, ne pas s’y noyer mais l’avoir voulu, se trouver rejeté de la rive à
l’asile, au complet isolement, à la mort. Il faut aller chercher
l’interprétation de Schumann dans ses propres faiblesses, oser ouvrir les
blessures. Janowski ne l’a pas osé et son interprétation n’a pas su faire
quelque chose de cette symphonie d’après Beethoven.
Ce premier concert de la série Symphonie
était donné trois semaines après le premier de l’autre série d’abonnement de
l’OSR, la série Répertoire. La question de déterminer que faire de soi après
Beethoven y était somme toute également posée, au travers d’œuvres aussi
différentes que le Deuxième concerto pour
piano et orchestre de Béla Bartók et
la Troisième symphonie en ré mineur
d’Anton Bruckner, dans sa version de 1889, finalement retenue par l’édition de
Léopold Nowak. Sans avoir à entrer dans les dédales des difficultés posées par
l’édition des symphonies du Maître de Saint-Florian, seulement convient-il de
rappeler que c’est le plus souvent cette partition qui est choisie par les
chefs et les orchestres l’interprétant. Janowski connaît bien son Bruckner et
il nous livre depuis quelques saisons un cycle de ses symphonies qui, en
concert, a varié du bon au moins bon, notamment par la tendance assommante du
chef à faire jouer l’orchestre trop fort, surtout dans ses cuivres. Dans une
salle relativement petite par rapport aux autres salles de concert que l’on
peut connaître en Europe, une telle violence sonore peut devenir rapidement
gênante, voire insupportable, comme nous en avions ici rendu compte à propos
d’une précédente interprétation de la Sixième
Symphonie. Rattrapables au disque ou par la transmission radiophonique, ces
défauts sont bien réels dans la salle du Victoria Hall. L’interprétation du
soir ne faisait pas l’économie des cuivres et tombait dans ce travers sans heureusement
y pousser trop loin. L’Orchestre qui, lui, connaissait peu Bruckner avant
Janowski, a appris à s’y repérer et à en rendre les grandes architectures.
C’est sans doute maintenant que l’on pourrait entreprendre ce cycle, sur
l’expérience accumulée ces dernières saisons et qui a parfois cruellement
manqué, notamment à l’abord des huitième et neuvième symphonies.
Quant au piano de Bartók, la salle
a réservé, pour sa seconde apparition avec l’OSR, un second triomphe à Boris
Berezovsky. Pour la seconde fois également, je n’ai pu me joindre à
l’enthousiasme ambiant. Comment aimer ce jeu où l’orchestre couvre constamment
le piano dans les premier et troisième mouvements et où le piano se noie
lui-même dans le deuxième sous un jeu très indistinct. Tenter dans Bartok un
jeu aussi peu défini, des contours aussi flous, des notes qui se fondent les
unes dans les autres sans jamais sonner pour elle-même, une telle pédale, c’est
comme interpréter un tableau de Munch avec les yeux des impressionnistes. Il
suffit de réécouter l’extraordinaire disque de Pollini et Abbado à Chicago ou
celui des deux Hongrois Anda et Fricsay à Berlin pour se souvenir de ce qu’il
aurait fallu entendre. Janowski quant à lui était déjà dans Bruckner, loin des
sources folkloriques du compositeur hongrois. Ouverture en fanfare lisait-on
dans le journal du lendemain, en fanfare certes mais rappelons que l’OSR est un
orchestre symphonique dont on attend plus de sensibilité.
22 octobre 2011
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