Une semaine après l’ouverture de la saison, l’OSR
réédite un très grand concert hier soir, mercredi 23 septembre 2009,
entièrement consacré à Johannes Brahms, juste avant un départ en tournée qui
s’annonce très flatteuse si notre Orchestre maintient un tel niveau dans tous
les lieux qu’il visitera.
Aimez-vous Brahms ? C’est le titre d’un essai
célèbre publié par René Leibowitz, repris dans Le compositeur et son double (TEL, Gallimard, 1971). C’est une
question récurrente, tant Brahms a été mal compris, mal aimé, mal joué des
décennies durant, avant que l’on prenne la mesure de la part immense qui fut la
sienne dans l’histoire de la musique, pour assurer la transition du romantisme
au modernisme. S’il fallait évidemment des novateurs qui explorassent des
chemins nouveaux, l’importance de celui qui va au bout des chemins connus est
tout aussi primordiale. Les symphonies de Brahms ne révolutionnent pas le
genre, elles le mènent à son aboutissement ultime. C’est Beethoven compris,
intégré, dépassé mais toujours intensément respecté. L’ombre de ce géant qui se
tenait derrière Brahms lui permit d’écrire finalement de très grandes
symphonies, dès lors qu’il pût se sentir capable de ne pas seulement copier le
maître. S’il a fallu à Brahms plus de vingt ans pour composer sa première
symphonie, la seconde vit le jour en quatre mois. C’était l’œuvre principale au
programme d’hier soir.
Ce programme fort riche était entièrement consacré au
Brahms médian, celui des années 1877-1880. Trois œuvres médianes donc mais
trois œuvres qui, si elles sont aujourd’hui bien installées au répertoire, ont
également pour point commun d’avoir eu beaucoup de peine à y parvenir.
L’Ouverture
tragique op. 81 est le pendant de l’Ouverture
académique, que Brahms composa en remerciement à l’Université de Breslau
(aujourd’hui Wroclaw), de l’avoir nommé Docteur honoris causa. Cette œuvre ne plut pas à sa création par
l’Orchestre philarmonique de Vienne, sous la direction de Hans Richter, en
décembre 1880, ni l’année suivante sous la direction du compositeur. Hier soir,
l’OSR en grande forme dès les deux premiers accords puissants qui en forment
l’introduction et Marek Janowski inspiré l’ont imposée avec brio. La facture
dense de l’œuvre et son langage harmonique hardi conviennent bien à notre
Orchestre, lorsqu’il est dans une telle forme. L’on a particulièrement apprécié
la justesse de la mise en place, les bruissements des cordes, les timbres des
bois et l’épanchement de tous les pupitres. Surtout, si Brahms a longtemps été
décrié, c’était dû aussi à une manière de le jouer façon Biedermeier, lourdaude, pataude, comme si le physique de Brahms
devait se retrouver par nécessité dans l’interprétation de ses œuvres. On en
est heureusement revenu et les qualités latines de l’OSR, la clarté des
timbres, donne à la densité de cette Ouverture
une certaine exubérance qui n’est pas sans la rapprocher de l’Ouverture Académique plus joyeuse.
En tous les cas, c’était une parfaite introduction au Concerto pour violon en ré majeur, op. 77
qui suivait, sous l’archet tendre et subtil de Viviane Hagner, qui apparaissait
pour la première fois dans un programme de l’OSR. Cette jeune violoniste
allemande a débuté sa carrière internationale à 12 ans et, pour sa première
apparition avec un orchestre, fut invitée par le Philarmonique de Berlin
(excusez du peu), sous la direction de Zubin Mehta ! Viviane Hagner joue
un Stradivarius de 1717, dit Sasserno,
avec lequel elle enregistre depuis février 2007 des œuvres de Bartók, Hartmann,
Bach, Vieuxtemps ou Chin, dans des choix éclectiques appréciables. On a
beaucoup dit de choses sur ce concerto de Brahms et certaines formules sont
restées, comme celle d’un « Concerto
contre le violon », due à un critique viennois. Il y avait dans le jeu
de Madame Hagner hier soir une tendresse toute féminine qui rendait cette œuvre
particulièrement attachante, nous la présentant sous des dehors inhabituels.
Plus qu’une dédicace à Joseph Joachim, ce concerto tel que joué là se présentait
comme une lettre à Clara Schumann. Le premier mouvement, monumental, était joué
d’un seul tenant dans une sorte de rivalité avec l’orchestre qui convient
peut-être mieux à ses qualités que
d’autres œuvres. L’on sait en effet les piètres qualités d’accompagnateur de
notre orchestre, qui a souvent du mal à faire corps avec un soliste dans une
écoute mutuelle permettant un réel plaisir d’écoute. Dans ce concerto « contre » le violon, l’opposition
plus forte des deux parties convenait parfaitement à une direction et à un
orchestre cherchant davantage à s’imposer par nature qu’à dialoguer. De ce
fait, le partage semblait plus équitable et donc plus flatteur aux protagonistes
que souvent. Le très beau son, même si parfois tendu, un peu trop appuyé par
moment, et la subtilité des sentiments mise par Madame Hagner dans la cadence
du premier mouvement ont arraché un Bravo !
sorti du cœur des premiers rangs et des applaudissements fournis dès la fin du
premier mouvement, qui, s’ils ne sont en général pas de mise, étaient néanmoins
parfaitement mérités et enthousiastes. L’Adagio
était élégiaque et l’Allegro giocoso
final parfaitement donné, joyeux comme indiqué mais surtout dans le respect de
l’indication de Brahms, non troppo vivace,
qui lui donnait une certaine retenue qui favorise la musicalité de
l’interprétation par rapport à la démonstration d’une virtuosité nécessaire. Nous
avons donc découvert une œuvre féminine, d’un caractère inconnu chez un Brahms
que l’on nous présente trop souvent bourru, célibataire endurci caché derrière
une forte barbe. Une lecture régénératrice en somme, qui devrait, nous
l’espérons, susciter de nouvelles invitations à Madame Hagner.
La Deuxième
symphonie en ré majeur, op. 73 clôturait ce concert, en seconde partie, et
était portée au niveau précédent par un Marek Janowski réellement inspiré, qui
nous a livré une œuvre joyeuse où retrouve les termes de Brahms dans une lettre
à Hanslick : « si délicieuse
que vous penserez que c’est pour vous que je l’ai écrite, ou du moins pour
votre jeune femme ». Créée le 30 décembre 1877 à Vienne sous la
direction de Hans Richter, dans un enthousiasme que cherchait à rendre
communicatif Edouard Hanslick, mais qui ne fut largement pas partagé. Rires à
Vienne, sifflets à Munich, jugée enfantine et brouillonne à Paris, sa création
à Dresde fut presque annulée… sur un caprice de Clara Schumann, qui refusait de
participer à un concert où des œuvres de Wagner étaient également jouées (le
programme comportait aussi des extraits de Die
Walküre et la Fantaisie pour piano,
chœurs et orchestre de Beethoven). Brahms définissait son œuvre comme
« gaie, petite, presque banale, en
fait une suite de valses », mais avec des « étincelles de beautés mélodiques », selon Hanslick. Bref, l’interprétation
donnée hier soir était calme et majestueuse, juste autant beethovénienne qu’il
fallait, dans le premier mouvement Allegro
non troppo, grave et lyrique, avec de forts beaux pupitres de violoncelles,
dans l’Adagio non troppo, une
sérénité qui se fit enjouée dans l’Allegretto
grazioso, quasi Andantino puis noble dans l’Allegro con spirito final. L’éclat était joyeux jusqu’à la coda
dominée par les trompettes qui claironnaient sans excès hier soir, dans une
heureuse tenue que nous ne leur avons pas toujours connue.
Ouverte sous les meilleurs auspices la semaine
dernière, la saison se poursuit de même avec ce deuxième concert. Nul doute que
s’il joue à un tel niveau pour toute sa tournée, l’OSR est un ambassadeur de
très haute tenue qui figure sans aucun doute au premier rang des phalanges
continentales.
24 septembre 2009
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