jeudi 31 août 2017

DU CHAOS AU PARADIS PERDU


Dans sa traduction du poème de John Milton, Paradise Lost, Chateaubriand commence par quelques remarques : « Si je n’avais voulu donner qu’une traduction élégante du Paradis perdu, on m’accordera peut-être assez de connaissance de l’art pour qu’il ne m’eût pas été impossible d’atteindre la hauteur d’une traduction de cette nature ; mais c’est une traduction littérale dans toute la force du terme que j’ai entreprise, une traduction qu’un enfant et un poëte pourront suivre sur le texte, ligne à ligne, mot à mot, comme un dictionnaire ouvert sous leurs yeux. Ce qu’il m’a fallu de travail pour arriver à ce résultat, pour dérouler une longue phrase d’une manière lucide sans hacher le style, pour arrêter les périodes sur la même chute, la même mesure, la même harmonie ; ce qu’il m’a fallu de travail pour tout cela ne peut se dire ». Le propos du poète se fait aussi musical.
Les sources des oratorios de Haydn, en particulier de Die Schöpfung (La Création), sont à rechercher dans ses voyages en Angleterre, en 1791, puis en 1794-1795. Il y découvrit grâce aux soins mis à l’accueillir par l’organisateur de concerts londonien Johann Peter Salomon la tradition du grand oratorio. Sa première audition, dans l’Abbaye de Westminster, en mai 1791, du Messiah de Haendel l’avait bouleversé. Sa découverte quatre ans plus tard du texte du poème de John Milton acheva d’ouvrir la voie vers les derniers horizons de son œuvre monumentale. Ne parlant pas l’anglais, Haydn confia au Baron Gottfried van Swieten le soin de la traduction et de la construction du livret. Diplomate polyglotte et grand animateur de la vie musicale viennoise en ces temps-là, le Baron était également un profond admirateur de la musique de Bach ou de Haendel. Il s’exécuta et réitéra sa collaboration avec Haydn pour son second grand oratorio, Die Jahreszeiten (Les saisons).
Les premières mesures forment le chaos de l’univers et Raphael ouvre le premier récitatif : « Im Anfange schuf Gott Himmel und Erde, und die Erde war ohne Form und leer, und Finsternis war auf der Fläche der Tiefe ». Très vite Haydn nous offre de sortir de la profondeur des ténèbres. Florian Boesch incarne un Raphaël créatif dont la richesse du timbre nous guide au travers des six jours de la Création, courant la terre, les mers et les airs. Il est particulièrement bien entouré par Mark Padmore, qui campe avec éclat un Uriel, porteur de la lumière de Dieu mais qui finira par chasser Adam et Eve du Jardin d’Eden. Dans le poème de Milton, Uriel est le régent du Soleil et de son orbe, le plus proche du trône de Dieu. Gabriel est la force de Dieu, celui qui annonce les bonnes nouvelles. Au second jour, Elsa Dreisig (qui remplaçait au pied levé Genia Kühmeier) nous offrait dans ce rôle sa part dans les merveilles de la Genèse : « Mit Staunen sieht das Wunderwerk der Himmelsbürger frohe Schar, und laut ertönt aus ihren Kehlen des Schöpfers Lob, das Lob des zweiten Tags ».
Dans la troisième et dernière partie de l’œuvre, Haydn nous place dans le Jardin d’Eden, avec Adam (Florian Boesch) et Eve (Elsa Dreisig). La perte du paradis, à suivre la partition comme l’engagement des chanteurs incarnant ce couple premier, ne semble pas en être une. Le gain du savoir leur ouvre le monde et même Uriel les chassant ne les punit pas : « O glücklich Paar, und glücklich immerfort, wenn falscher Wahn euch nich verführt, noch mehr zu wünschen als ihr habt, und mehr zu wissen als ihr sollt ». Ah, l’accès à la connaissance, au savoir, nous place meilleurs que nous ne fussions sensés rester. C’est ainsi que nous sommes tous issus de la Chute mais a-t-on besoin de remonter jusqu’au Paradis perdu lorsque Bach, Haendel ou Haydn nous offrent de l’entendre ?
Sir Simon Rattle a fait de cette Création l’ouverture de sa dernière saison à la tête du Philharmonique de Berlin, le 25 août 2017. En commandant à Georg Friedrich Haas, compositeur né en 1953, une pièce pour ouvrir ce concert, il préparait à l’organisation du Chaos. Dans un commentaire, le compositeur disait : « Wenn meine Worte versagen, muss ich in Musik sprechen. Ich habe versucht, ein Ritual zu komponieren. Ein Ritual für Heilung und Licht ». Rattle nous présente dans ces pages cette forme de synthèse qu’il a développée ces dernières années et qui s’est exprimée à travers tous les répertoires abordés, notamment les deux Passions de Bach, les dernières symphonies de Mozart, les cycles Sibélius ou Beethoven. L’on y trouve une profonde connaissance des partitions, l’imprégnation d’un savoir qui englobe toutes les traditions interprétatives des derniers siècles, la fusion des styles, l’ouverture sur de nouvelles perspectives, la volonté de faire entendre ce que ces œuvres recèlent encore de mystères. Avec un orchestre fabuleux qui peut tout, il organise le chaos, dissipe les ténèbres dont il tourne les profondeurs à la lumière. A la sortie du Paradis, il nous offre de partir vers l’immensité de la découverte du monde. 

Dans le programme du soir, le violoniste Stanley Dodds souligne que l’orchestre peut aller maintenant dans des directions différentes, ce qui nous fait souvenir que, en choisissant de confier son sort à Rattle en 2002, c'est justement l'argument de ne pas savoir où il serait conduit qui avait guidé ce choix. Après une époque où tous ses dirigeants étaient allemands (entre 1882 et 1989, successivement Hans von Bülow, Arthur Nikisch, Wilhelm Furtwängler et Herbert von Karajan), l’orchestre s’engage dans une seconde époque où plus aucun ne l’est (Claudio Abbado, Sir Simon Rattle et dès l’an prochain Kirill Petrenko), les chemins s’ouvrent et le répertoire continue de s’enrichir. Chance ou risque ? Stanley Dodds souligne que durant les vingt-trois ans qu’il a passé dans l’orchestre, il a vécu un véritable changement de génération et une période de consolidation sous la direction de Rattle. 

Donnée pour la première fois à Lucerne, dans le cadre du Festival, le 27 août 1949, avec Irmgard Seefried, Ludwig Walter et Boris Christoff sous la direction de Wilhelm Furtwängler, Die Schöpfung y avait été donnée pour la dernière fois avant ce soir, le 5 avril 2003, sous la direction de Nikolaus Harnoncourt. Sir Simon Rattle unit et dépasse les deux approches de ses prédécesseurs et ouvre sur l’avenir. Guérison et lumière, la création du monde est consolidée, la dernière page de la partition se referme, comme Haydn Sir Simon prépare son retour en Angleterre ou peut-être pense-t-il déjà à nous offrir de revoir avec lui la tradition des grands oratorios.
31 août 2017.

dimanche 27 août 2017

EROS NU


Marquer le 450ème anniversaire de Claudio Monteverdi, c’est aussi marquer celui de la création d’un genre, l’opéra. Au cours d’une large tournée internationale qui les menait ces jours-ci au Festival de Lucerne, le Monteverdi Choir, les English Baroque Soloists et John Eliot Gardiner donnent les trois opéras qui subsistent en versions de concert. L’incoronazione di Poppea, dont la création remonte à l’an 1643, sans doute, au Teatro  Santi Giovanni e Paolo, à Venise est le dernier des trois, composé juste après Il ritorno d’Ulisse in patria mais plus de trente ans après L’Orfeo. Vers 1600 à Florence, les premiers opéras virent la scène, avant que le genre ne se répandît en Italie, à l’initiative des Cours de Mantoue et de Parme. Vers 1620, le Pape Clément IX fonda même une école romaine d’opéra dans la Ville éternelle. En 1637, Venise ouvrait le premier théâtre lyrique du monde, accessible à tout simple citoyen, moyennant payement d’un droit d’entrée. L’on quitte le spectacle réservé aux familiers du prince et à la gloire de sa cour pour une ouverture sur le monde et le modèle subsiste encore aujourd’hui.
Avec le dernier opéra de Monteverdi, l’on quitte pour la première fois les sujets fondés sur la mythologie pour un livret historique, mâtiné aux références du pouvoir de l’époque. Venise au milieu du XVIIème siècle vit dans un bouillonnement culturel intense entretenu par les commandes des familles patriciennes comme des confréries religieuses. L’Incoronazione di Poppea est généralement considéré comme le point culminant de l’œuvre du compositeur et contient des scènes dramatiques aussi bien que comiques, dans ce qui restera une caractéristique de l’opéra baroque comme du théâtre élisabéthain. Les caractères des personnages y sont décrits de manière réalistes et, très largement, négatives. Victoire totale de la brutalité et de l’immoralité, cette œuvre veut sans doute montrer à l’auditeur jusqu’où peut conduire le manque d’amour, de compassion et d’ordre. Confier au titre-même le thème du couronnement de la courtisane donne toute son importance au propos. L’impossible est rendu possible par un simple caprice de l’Amour, Éros nu dans le titre de l’essai du programme de la soirée, Éros triomphant dans l’illustration du Caravage en miroir, Éros enfant espiègle qui ne peut intégrer les règles de la société.
Aucun des personnages n’est dépeint avec des traits sympathiques par Monteverdi et son librettiste. Octavie est insensible, qui veut forcer Othon à tuer Poppée, sa maîtresse, dont il est follement amoureux. Elle n’hésite pas à le menacer de calomnie, de torture ou de mort s’il devait ne pas s’exécuter. Marianna Pizzolato campe une impératrice qui n’a guère l’occasion de se laisser abattre sans combattre, mais elle défend plus qu’elle-même dans ce pugilat, toute la gens Julio-claudienne, son histoire et sa permanence à la tête de Rome face à son époux qui déroge.
Othon, décontenancé, est incapable de trouver sa place entre l’amour qu’il porte à la femme qui le quitte pour l’Empereur et la fidélité vouée à celui-ci. Il n’hésitera pas à impliquer Drusilla, dont l’amour le regarde respirer, dans son désastre personnel. Carlo Vistoli incarne parfaitement cette ambivalence. Il est pourtant exactement cela et bien plus que cela historiquement. Si l’on relit Suétone dans ses Vies des douze Césars, Othon y est dépeint comme un personnage assez peu recommandable et disposé à tout pour parvenir à ses fins. Il séduisit ainsi une vieille courtisane dans le seul but d'entrer en contact avec Néron, dont il partagea les frasques sexuelles jusqu’à en devenir l’un des favoris. Plutarque et Suétone soulignent sa coquetterie qu’ils qualifient d’efféminée et lui prêtent une complicité homosexuelle avec l’empereur ou même, selon Dion Cassius, avec ses mignons. S’il faut être prudent avec l’usage de qualificatifs anachroniques, les mœurs de l’époque n’étant pas les nôtres, la nature vocale des deux rôles de Néron et d’Othon, des castrats aujourd’hui campés soit comme des rôles travestis par des mezzo-sopranos, soit par des contreténors, comme ce soir, ne tend pas à les imposer comme des parangons de virilité. Néanmoins, Othon se liguera avec Galba pour abattre Néron, puis assassinera Galba pour usurper à son tour la pourpre impériale. Il ne règnera que trois mois, du 15 janvier au 16 avril 69, avant de se suicider pour ne pas tomber entre les mains de son successeur, Vitellius. C’était l’Année des quatre empereurs, qui parachevait la destruction du projet d'Auguste.
Sénèque, qui pourrait représenter une figure solide, n’est pas épargné non plus par le livret. La vox populi, incarnée par les soldats ou le page, le décrit comme extrêmement impopulaire et antipathique et Monteverdi souligne la vanité et l’arrogance de ses semonces, notamment par des coloratures vides qui ne sont pas même rehaussées de paroles. La rigidité de la forme musicale qui lui est offerte montre celle du personnage. C’est une basse qui l’incarne, basse qui s’imposera dans l’opéra comme le symbole de rôles d’autorité, notamment rois et empereurs. Il était sans doute le seul à pouvoir maintenir l’Empire au sens premier, c’est-à-dire l’Imperium, le pouvoir suprême composé du pouvoir civil à Rome comme du pouvoir militaire hors de Rome, dans sa constance augustéenne, son éthique. Le suicide  de Sénèque est un sommet théâtral de l’œuvre, son point central, qui lui sert donc de pivot. Sénèque vivant, la dignité impériale revêtait encore Néron ; mort, les scandales s’enchainent et emportent le trône. Il était le pilier de l’édifice, lui tombé, tout s’effondre. Gianluca Buratto possède un grave profond dont les qualités de timbre ressortent davantage encore à être le seul à s’exprimer dans un registre grave, entouré de tessitures toutes plus aiguës que la sienne.
Néron reste une figure tragique de l’Histoire, un personnage dont l’image négative a traversé les siècles, depuis les auteurs latins, Suétone, Plutarque ou Dion Cassius, jusqu’à l’époque moderne, notamment dans les lignes du célèbre Quo Vadis ? d’Henryk Sienkiewicz, qui lui valut le Prix Nobel de littérature en 1905 et une adaptation à l’écran dans laquelle Peter Ustinov campe un personnage d’anthologie, la lyre à la main devant Rome en flammes. Avec Monteverdi, Néron est dépeint par tous les moyens musicaux, pour mettre en scène un minutieux dessin psychologique. Dans sa relation avec Poppée, il offre toutes les opportunités de brusques changements de sentiments et donc de variations musicales. Néron est empereur et cela revient quasiment dans chaque phrase du livret, qui affirme ainsi une position altière du souverain. Cette qualité impériale, Néron en est toutefois dépourvu dans le portrait qu’en dresse Monteverdi. Contrairement à Sénèque qui s’impose comme un modèle, Néron n’incarne pas l’imperium majus. Voué aux plaisirs et non à l’État, il use de son pouvoir pour imposer ses désirs et rompre les résistances, au point de s’oublier totalement lorsqu’il exile Octavie pour épouser Poppée. C’est là bien plus qu’un caprice mais une vraie rupture dans la gestion de l’Empire. Depuis César, le principat s’était installé dans la famille Julio-claudienne grâce aux naissances naturelles mais aussi aux adoptions et aux alliances. Auguste, Tibère et Claude avaient veillé, par leurs unions (au besoin en défaisant celles des autres), à maintenir l’unité des branches de la famille et donc leur crédibilité à la tête de l’État. L’union de Néron et d’Octavie complète ainsi la lignée impériale dans une construction dynastique qui porte une vision à long terme, patiemment installée. Drusilla (superbe Anna Denis) appartient aussi à cette lignée qui descend directement d’Auguste (la première Drusilla, fille de Drusus, avait été la première épouse d’Auguste, la mère de Tibère) et une union avec Othon aurait intégré celui-ci à la famille impériale, comme il en fut avec Agrippa au commencement. Le jeune contreténor coréen Kangmin Justin Kim campe un Néron de toutes les folies, avec une voix qui défie les genres, d’une grande agilité et parée de riches couleurs expressives, il consume l’imperium majus au seul usage de ses sens. Avec lui mourra une certaine idée du principat fondée sur la supériorité d’une gens, pour tomber vers un pouvoir souvent offert à celui qui aura la puissance de le prendre.
Sa complice dans cette tâche, très belle Hana Blazikova, incarnait ce soir tant Poppée que la Fortune. Il lui en fallut pour monter les marches du trône, il lui en manqua pour ne pas trop tôt en redescendre. D’ailleurs, le texte du livret ne s’ouvre-t-il par sur un prologue mettant aux prises rapidement la Fortune, la Vertu et l’Amour ? Fortune écarte Vertu, l’envoie se cacher pour être tombée dans l’indigence, plus personne ne croyant en sa divinité : « Dieu sans temple, Déesse sans fidèles et sans autels, méprisée, abandonnée, raillée et bafouée, toujours évincées lorsque je parais ». La réplique fuse pourtant, Vertu rejetant Fortune, née sous une mauvaise étoile, « coupable chimère des peuples, que des esprits frivoles ont fait déesse ». Tout est dit, mais l’Amour emporte la dispute : « J’enseigne la vertu, je commande aux destinées, ce petit enfant soumet par l’âge le temps et tout autre dieu. L’éternité et moi sommes jumeaux ». Fortune et Vertu s’unissent alors pour prétendre qu’il « n’est de cœur humain ni céleste qui ose se rebeller contre l’Amour ». Le cœur humain et céleste de Néron ne le tenta même pas.
Le tableau ne serait pas complet sans une mention spéciale à la Nourrice campée par Michal Czerniawski. Il apporte à ce travestissement un comique irrépressible auquel la salle n’hésite pas à rire, un peu à la Blake Edwards, incarnant l’un de ces rôles de paumé magnifiquement ambigu qui promène entre les genres sa mélancolie auprès de barmen philosophes et qui pourrait bien aller se consoler de son insatisfaction permanente en se plantant, à l’aube, devant la vitrine de la bijouterie Tiffany, sur la 5ème Avenue, à New York, pour y oublier sa vie intensément vide et ses amours dérisoires… Et dire qu’il n’apparaît même pas dans le programme du soir, scandaleuse erreur de mise en page qu’il compense par un succès sur scène.
Avec un orchestre resserré, vingt-cinq musiciens répartis en deux groupes qui se font face sur la scène du KKL de Lucerne et offrent autour d’eux une belle mise en espace des protagonistes sous la houlette d’Elsa Rooke, John Eliot Gardiner est le grand triomphateur de la soirée. Tournant les trois opéras à travers le monde depuis bientôt six mois, avec la même équipe, le projet est pleinement abouti. Venant des Festivals de Salzbourg et d’Edinburgh, la halte lucernoise est sans aucun doute un sommet de la programmation de cette année.
27 août 2017

LES RAISONS DE LA COLERES


4 mai 2017, Genève. Yuja Wang est annoncée dans le premier concerto pour piano de Tchaïkovsky, avec l’Orchestra dell’Academia Nazionale di Santa Cecilia Roma, sous la direction de Sir Antonio Pappano. Fake News ! L’orchestre est en place, la salle se remplit. Les lumières s’éteignent. Soudain, un directeur de cirque lâche un fauve dans les rangs. Cocteau et Stravinsky auraient pu en faire quelque chose, Tchaïkovsky c’est moins sûr. Salut mécanique en un éclair, les octaves pleuvent, agressives, agressées, Allegro non troppo, mention rapidement oubliée, e molto maestoso, caractère mal compris et singé avec brutalité. L’Andantino simplice pourrait être un débat d’entre-deux tours d’une présidentielle erratique, mais prestissimo, l’outrance reprend le dessus. Pas de programme ni de culture dans ces déchainements grossiers. Le port est altier, la plastique avantageuse et le décolleté descend jusqu’aux chevilles. La Chine et le Russie face à face, l’Orchestre italien et le chef britannique cherchent à travailler ensemble, à retrouver l’équilibre, à repérer de la profondeur, y parviennent souvent mais sont rattrapés, dépassés par les hurlements de ceux que l’on n’entend que lorsqu’ils nous font peur. L’Allegro con fuoco lâche une dernière salve, un sourire en coin pour une dernière fois narguer à défaut de vaincre. L’orchestre et le chef, superbes, font front commun pour ne pas trop reculer et tenter de rappeler que, dans l’écriture de Tchaïkovski, la nouveauté des lignes proposait des mesures équilibrées, qu’entre chaque mesure la barre était tenue et que, pour innover totalement l’on pouvait triompher avec éclat, lorsque l’on rassemble l’orchestre sous une baguette inspirée.
A l’entracte les gens tapent dans les mains, se laissent impressionner par le discours déculturé. Elle revient avec deux bis, le premier pour se montrer superficiellement normale, le second pour une dernière charge, celle de trop, le geste chaloupé le rire aux éclats alors que la situation ne s’y prête guère.
Remontant dans la salle après l’entracte, la réalité est bien présente. Deux femmes d’un certain âge (j’écris « un certain âge » comme l’on dirait « Il a un certain charisme ») : Tu as regardé le débat hier soir ? Tu as tenu combien de temps ? – 12 minutes ! Lumières.
Retour à Rome d’où tout partit, à la Ville et au Monde, un imperium que l’on fit impérialisme, les Pins de Rome alignés pour n’en pas faire des faisceaux, les Fontaines de Rome à l’eau rafraichissante d’un acte d’union fondateur qui recréait le Concert des Nations. Ottorino nous redressait les oreilles, Respighi, mort en 1936, respira pour exprimer les sentiments et les visions que lui inspirait la Ville éternelle passée par des jours bien sombres. L’on passait des noms aux chants d’oiseaux dans un calme retrouvé, des couleurs magnifiques et des perspectives d’avenir fondées sur un riche passé millénaire, un temps long dans lequel les années de plomb se perdent et disparaissent. La Fontaine de la Villa Giulia à l’aube, du Triton le matin, de Trevi à midi, de la Villa Médicis au coucher du soleil. Les Pins de la Villa Borghese, ceux près d’une catacombe, sur le Janicule ou le long de la Voie Appienne. Pour retrouver le calme, s’il le faut, donne-moi ta main camarade, prête-moi ton cœur compagnon, nous referons les barricades et la vie, nous la gagnerons.
En bis une Valse triste de Sibélius, retour à l’intime, lorsque l’on ne se retrouve plus qu’avec soi à chercher la sérénité perdue. Subsistent encore quelques tensions, des choix à faire. En second bis, l’Ouverture de Guillaume Tell de Rossini, qui nous rappelle que la fierté d’un peuple ne s’abaisse pas à courber l’échine pour saluer les oripeaux ridicules de l’oppression, que l’homme se dresse pour garder sa liberté, qu’il se dressera d’autant plus haut qu’il lui faudrait exposer la vie des siens.
Ah, j’oubliais, nous avions commencé sur le Caprice Romain N°3 de Richard Dubugnon, compositeur helvétique très applaudi. En de tels temps, un homme qui n’aurait que trois caprices devrait être choisi sans hésiter comme un beau parti.
 
4 mai 2017