dimanche 19 avril 2015

CHANTS ET DANSES DU CONCERTGEBOUW AUTOUR DE MARISS JANSONS


Gastorchester du Festival de Salzbourg le 27 août 2010 au soir, Het Koninklijk Concertgebouworkest, sous la direction de son chef attitré, Mariss Jensons depuis 2004, nous a donné un concert fabuleux, de ceux dont les riches sonorités et les interprétations restent longtemps en mémoire.
Commençant par une pièce de Béla Bartók, commande de Paul Sacher en 1936, l’on nous proposait une Musique pour cordes, percussions et célesta dont les quatre mouvements, successivement Andante tranquillo,  Allegro,  Adagio et Allegro molto s’enchaînaient à la perfection. Très novatrice dans sa composition, la structure du premier mouvement est construite, comme de nombreuses autres œuvres du compositeur, sur des proportions en rapport avec le nombre d'or. Le nombre d'or est, pour en citer la définition la plus communément accessible, la proportion, définie initialement en géométrie, comme l'unique rapport entre deux longueurs telles que le rapport de la somme des deux longueurs (a+b) sur la plus grande (a) soit égal à celui de la plus grande (a) sur la plus petite (b) c'est-à-dire lorsque (a+b)/a = a/b. Le découpage d'un segment en deux longueurs vérifiant cette propriété est appelée par Euclide « découpage en extrême et moyenne raison ». Le nombre d'or est maintenant souvent désigné par la lettre φ en l'honneur du sculpteur Phidias qui l'aurait utilisé pour concevoir le Parthénon. Musicalement, c’est sans contestation possible l’interprétation du Concertgebouw et de Jansons qui furent d’or dès ce premier mouvement, abordé Tranquillo quoique déjà sur des tempi soutenus. On trouve également dans cette pièce une invention rythmique, un langage chromatique d'essence modale (une note servant toujours de polarité au discours) et des sources folkloriques et impressionnistes habituelles chez Bartók. Les quatre mouvements apparaissent ainsi comme une fugue palpitante, un allegro bondissant, un nocturne vertigineux et un final joyeusement folklorique. L’Orchestre était à son meilleur pour chaque pupitre et les couleurs multiples, la qualité de l’ensemble, la vision et la musicalité du chef en font certainement l’une des meilleures interprétations de cette pièce que l’on puisse entendre aujourd’hui en concert.
En seconde partie de concert, le baryton italien Ferrucio Furlanetto donnait les Chants et danses de la mort, de Modest Moussorgski, dans l’orchestration qu’en donna Dmitri Chostakovitch. La voix sombre et chaleureuse de ce grand chanteur d’opéra nous plongeait immédiatement dans l’ambiance de Trepak, avant une mélodie plus légère, une Sérénade et enfin un final époustouflant. L’orchestre et le chef étaient à l’écoute du soliste comme rarement et l’on assistait à un partage remarquable des voix dans une musicalité incroyable. L’orchestration de Chostakovitch n’a pas de secret pour Mariss Jansons, qui a enregistré il y a peu une intégrale de son œuvre symphonique justement remarquée. Il y a aussi un profond amour de la partition et une joie de diriger un tel ensemble avec un soliste de ce niveau qui transparaît, nous emportant sur des sommets d’interprétation rares. Si les tempi de la Musique de Bartók étaient allant, le chef prenait ici son temps, laissant respirer le soliste et se développer des mélodies sombres aux phrasés somptueux.
La soirée se terminait sur la Suite de l’Oiseau de feu, d’Igor Stravinski. L’Oiseau de feu est originellement un conte dansé en deux tableaux d’après un conte national russe dont la musique a été composée par Igor Stravinski en 1909-1910 sur la commande de Serge de Diaghilev, créé à l’Opéra de Paris le 25 juin 1910 par les Ballets russes sur une chorégraphie de Michel Fokine et sous la direction de Gabriel Pierné. C’est là le premier grand ballet de Stravinski, qui le rendit mondialement célèbre du jour au lendemain. Bien que destiné au ballet, L’Oiseau de feu est aussi et aujourd’hui sans doute essentiellement une grande œuvre de concert.
Le ballet est divisé en dix-neuf numéros et le programme rédigé pour la création par les Ballets russes donnait à l’action  la trame suivante: « Ivan Tsarevitch voit un jour un oiseau merveilleux, tout d’or et de flammes ; il le poursuit sans pouvoir s’en emparer, et ne réussit qu’à lui arracher une de ses plumes scintillantes. Sa poursuite l’a mené jusque dans les domaines de Kachtcheï l’Immortel, le redoutable demi-dieu qui veut s’emparer de lui et le changer en pierre, ainsi qu’il le fit déjà avec maint preux chevalier. Mais les filles de Kachtcheï et les treize princesses, ses captives, intercèdent et s’efforcent de sauver Ivan Tsarevitch. Survient l’Oiseau de feu, qui dissipe les enchantements. Le château de Kachtcheï disparaît, et les jeunes filles, les princesses, Ivan Tsarevitch et les chevaliers délivrés s’emparent des précieuses pommes d’or de son jardin ».
Le livret a toutefois été assez largement développé par le chorégraphe Michel Fokine, en ce sens que Ivan Tsarevitch réussit en fait à capturer l’Oiseau de feu dans l’arbre aux pommes d’or du jardin de Kachtcheï. En échange de sa liberté, l’Oiseau de feu lui donne une de ses plumes enflammées en lui disant qu’elle lui sera utile. La porte du château de Kachtcheï s’ouvre et treize Princesses sortent, dont la Princesse de la Beauté Sublime. Elles jouent avec les pommes d’or et celle de la Princesse de la Beauté Sublime tombe dans un buisson derrière lequel s’est caché Ivan. En la récupérant, elle le voit et ils tombent évidemment amoureux. Les Princesses retournent dans le palais et Ivan tente, évidemment encore, d’entrer lui aussi dans le château, ce qui déclenche un carillon magique. Il est capturé par les gardiens. Kachtcheï le place contre un mur et débute l’incantation qui le changera en pierre, mais Ivan agite soudainement la plume et l’Oiseau de feu rompt le sortilège, permettant le doux mariage d’Ivan et de la princesse.
Stravinski a tiré plusieurs suites orchestrales de ce ballet, en 1911, 1919 et 1945. C’est cette dernière qui était donnée ce soir. Composée aux États-Unis, elle est la plus longue des trois suites et comporte l’essentiel du ballet, en dix numéros, dans une orchestration qui reste sensiblement la même que celle de la suite de 1919.
Nous avons donc entendu successivement l’Introduction — Danse de l’Oiseau de feu — Variations de l’Oiseau de feu, une première Pantomime, un Pas de deux : l’Oiseau de feu et Ivan Tsarevitch, une deuxième Pantomime, un Scherzo : danse des Princesses, une troisième Pantomime, le Khorovode des Princesses, la légendaire Danse infernale de Kachtcheï et de ses sujets, une Berceuse et le Finale éblouissant que l’on connaît. L’orchestre se déchainait en de somptueuses sonorités qui décrivaient on ne peut mieux cet oiseau de feu. La Danse infernale était menée comme il se doit à un rythme soutenu dans des éclats orchestraux fabuleusement maitrisés. La berceuse offrait un tendre moment de repos, montrant toute la souplesse dont l’Orchestre et le chef peuvent faire montre avant que ne se déchaîne le Finale.
Deux bis, le premier comportant un extrait d’une suite de Grieg consacrée à Peer Gynt et le second une Danse slave de Dvorak, terminaient un concert en tout point remarquable de la part d’un orchestre qui reste l’un des meilleurs du monde et qui était là supérieurement dirigé, à Salzbourg, par un ancien élève de Karajan qui y avait étudié, ce qui lui attirait ainsi également une part de la sympathie du public.
29 août 2010

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