En orchestre invité du Festival de
Salzbourg, le Chicago Symphony Orchestra a
donné deux concerts sous la direction de son nouveau directeur musical, Riccardo
Muti, les 26 et 27 août 2011. Deux programmes symphoniques sans soliste, sous
la seule présence du chef, qui fait montre d’une autorité sans partage dès
qu’il apparaît sur la scène du Grosses
Festspielhaus. Autorité musicale avant tout, mais également personnelle,
tant le chef de septante ans serait aujourd’hui sans doute le seul à oser,
sinon même à vouloir, reprendre le surnom de Maestrissimo naguère réservé à un autre Italien, Arturo Toscanini.
La crinière d’un noir de jais fait l’objet d’une attention particulière pour
soigner l’image avec une certaine coquetterie peut-être. L’âge n’a pas de prise
sur la baguette ni sur l’art de Muti. C’est l’élégance du chef.
A la tête d’un orchestre superbe,
il nous a proposé deux programmes électriques. Le premier était consacré à une
commande de l’Orchestre au compositeur Bernard Rands, né en 1934, pour
célébrer, en 2010, le deux centième anniversaire de l’indépendance du Mexique
et le centenaire de la révolution de 1910. Rands, que Muti connaît depuis fort
longtemps et avec lequel il a toujours eu plaisir à travailler, a composé à
cette occasion une courte pièce pour grand orchestre intitulée Danza petrificada, donnée ce soir là en
première audition européenne. Inspirée d’un poème d’Octavio Paz décrivant un
village mexicain, elle est une formidable incarnation des jeux de timbres dont
un orchestre de cette classe peut savoir se parer. Les mots d’Octavio Paz
décrivent à eux seuls cette musique nouvelle : « … festín de formas, danza petrificada bajo las nubes que se hacen y se
deshacen y no acaban de hacerse, siempre en tránsito hacia su forma venidra… ».
Venait ensuite de Richard Strauss
le poème symphonique Tod und Verklärung,
op. 24, qu’il décrivait comme « ein Einfall wie jeder andere, warscheinlich
letzten Endes das musikalische Bedürfnis, nach Macbeth (beginnt und schliess in
D moll), Don Juan (beginnt und schlieest in E moll) ein Stück zu schreiben, das
in C moll anfängt und in C dur aufhört! ». L’œuvre est guidée par le principe per aspera ad astra, déjà connu de la cinquième symphonie de
Beethoven et revêt de ce fait également un caractère électrisant survolté par
Ricardo Muti. « Das ist doch keine
Apotheose » écrivait Strauss. Pas sûr qu’il ait gardé raison sous une
telle baguette.
En deuxième partie de cette
première soirée, le chef nous a proposé une relecture de la Cinquième Symphonie
de Dimitri Chostakovitch, op. 47. L’on sait le poids politique de cette œuvre
singulière, que le compositeur, pour rentrer dans les grâce d’un pouvoir
totalitaire imbécile après la condamnation de son opéra Lady McBeth du district de Mzensk, en 1936, et la déprogrammation
de la création de sa quatrième symphonie qui devait suivre, avait sous-titré « Humble réponse d’un compositeur soviétique à
de justes critiques »… pour les renouveler et les diriger même
personnellement contre Staline. Politique certes, mais œuvre majeure du
répertoire symphonique, cette pièce est l’une des plus jouées de Chostakovitch,
la plus connue également sans doute de ses symphonies. Riccardo Muti a
dépouillé la partition de tous ses oripeaux politiques pour se consacrer à la
musique quelle recèle. Son plein et homogène, superbes cordes qui mettent de la
chaleur dans leurs couleurs, bois et vents en général lumineux mais la
puissance demeure. Nous attendions une œuvre corrosive aux ambitions politiques
bien connues, nous avons découvert une superbe symphonie classique qui nous a
littéralement envoûté. Il est sans doute temps d’entendre Chostakovitch comme
un grand musicien et d’abandonner le caractère historique d’une opposition
politique fondamentale mais datée. Il y gagne en universalité et rejoint les
plus grands symphonistes de l’histoire. Muti lui a donné l’indépendance qui
nous permet de l’entendre sans sous-entendu. Musizieren est le terme qui convient le mieux pour décrire ce
premier concert.
Au deuxième soir, c’est également
par une grande symphonie, mais largement méconnue celle-ci, que Muti ouvrit son
programme. La Symphonie en mi bémol
de Paul Hindemith est une œuvre de la fin du XIXème siècle aux
couleurs postromantiques. Nullement révolutionnaire tant dans sa structure en
quatre mouvements que par le refus d’une atonalité qui prévalait dans la
nouvelle garde de l’époque, en 1935-1936, sous les plumes de la nouvelles Ecole
de Vienne dont Wagner et Mahler avaient pavé la voie. Considéré pourtant comme
un musicien dégénéré par le régime nazi, Hindemith peine, encore aujourd’hui, à
retrouver la stature qui devrait être la sienne dans l’histoire de la musique.
Cette symphonie est une œuvre splendide qui mérite de figurer au répertoire des
grands orchestres comme au programme des grands festivals. Magnifiée par un
orchestre fabuleux dirigé avec autorité et élégance par un Muti des grands
soirs, ce fut l’un des grands moments de l’édition 2011.
Dansant ensuite le ballet de
Prokofiev Romeo et Juliette dans un
choix de pièces tirées des deux suites du compositeurs, Muti donnait d’emblée
le ton avec Les Capulets et les Montagues,
pour ordonner les pièces des deux suites dans l’action chronologique de
l’intrigue du ballet. La Mort de Tybalt était un sommet de cette interprétation
mais toutes les pièces offraient à l’Orchestre de quoi exprimer une virtuosité
sans faille dans des couleurs infinies et des sonorités d’une extrême beauté.
Le programme de la soirée soulignait avec raison les liens qui unissaient
Hindemith et Prokofiev, soulignant qu’ils avaient sans doute plus de points en
communs que de différence. C’était particulièrement vrai dans l’enchainement
des deux ouvres à la virtuosité classique jouées ce soir. Tous les auditeurs
avaient pour l’Orchestre et son chef les oreilles que Roméo prêtait à la douce
voix de Juliette.
1er octobre 2011
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