Hier soir, mercredi 16 septembre 2009, la saison
2009-2010 de l’OSR s’ouvrait sur une belle affiche. Le programme proposé
offrait en effet trois œuvres relativement rares au concert, la Deuxième Sérénade en la majeur, op. 16
et la Rhapsodie pour contralto, chœur
d’hommes et orchestre, op. 53 de Johannes Brahms, avant la Huitième symphonie en sol majeur, op. 88
d’Antonín Dvorák, sous la direction de Marek Janowski.
L’on sait à quel point Brahms, comme ses
contemporains, fut hanté par le fantôme de Beethoven en matière symphonique. La
lettre que le compositeur adressa à Hermann Levi en 1872 est célèbre :
« Non, je n’écrirai jamais une
symphonie ! Vous ne pouvez pas avoir idée ce que c’est que d’entendre
toujours les pas d’un géant derrière vous ! ». La seconde Sérénade constitue une œuvre de
jeunesse, tentative sans en oser dire le nom. Si l’on n’est pas encore dans le
monde symphonique avec cette œuvre, on n’est plus dans celui de la sérénade,
entendue comme une œuvre de chambre jouée en plein air. L’effectif en est en
effet plus élaboré, placés sur la scène hier soir en trois groupes bien
distincts : violons à gauche, vents au centre, cordes graves à droite. Les
cinq mouvements qui composent l’œuvre oscillent plus ou moins vers la grande
symphonie vers laquelle tend sans l’oser Brahms à l’époque. Le premier
mouvement, Allegro moderato sonne
réellement comme celui d’une symphonie, joué comme tel par Janowski, avec un
volume sonore et une densité qui sont déjà celles des œuvres à venir. On a
beaucoup aimé les timbres des bois dans ce premier mouvement, notamment dans la
très belle mélodie des clarinettes. Le court Scherzo exubérant était traité avec vivacité par le chef, en
contraste avec l’Adagio non troppo qui
le suit, plus sombre, mais moins introspectif dans la vision du chef que Brahms
ne l’avait sans doute entendu en l’écrivant. Le Quasi Minuetto est confié aux vents, effectif classique de la
sérénade, qui ne comprenait en principe pas de cordes. C’était le lieu d’admirer
les beautés de timbre dont nos instrumentistes sont capables dans leurs
meilleurs jours, une fois encore autour des clarinettes surtout, mais les cors
n’étaient pas en reste, doux et tenus, sans les surenchères sonores trop
fréquentes. Le Finale est assez
théâtral, sans omettre quelques ambiances de chasse habituelles au genre. Une
œuvre de jeunesse donc, qui contient déjà les ambitions symphoniques que Brahms
finira par exprimer dans ses œuvres futures en portant ce genre à son sommet et
à sa fin, sous sa forme classique.
La Rhapsodie
pour contralto, chœur d’hommes et orchestre est l’une des œuvres chorales
les plus abouties de Brahms, associant des voix graves d’hommes avec celle d’un
contralto sur un texte sublime de Goethe, Harzreise
im Winter, de 1777. C’est une œuvre franchement théâtrale, qui se distingue
en ce sens des Triumphlied et Schicksalslied contemporains. Seule de
ces œuvres à faire intervenir une voix soliste en complément du chœur, Brahms
nous offre une forme de cantate baroque façon Sturm und Drang, nous approchant de l’opéra qu’il n’a jamais écrit.
La cantatrice Anana Larsson, pour sa première invitation à l’OSR a été
justement très applaudie. Sa vraie voix de contralto correspond parfaitement à
cette œuvre à l’interprétation de laquelle elle donne la profondeur d’Erda, rôle qu’elle incarne idéalement
sur les principales scènes lyriques ces dernières années. Il y avait une
ampleur wagnérienne dans ce chant et cette œuvre :
« Aber abseits wer ist’s ?
Im Gebüsch verliert
sich der Pfad.
Hinter him schlagen
Die Sträuche zusammen,
Das Gras steht wieder auf,
Die Öde verschlingt ihn »…
La voix est chaleureuse, naturellement grave et l’on
sent toute la différence entre le contralto naturel et le mezzo-soprano tiré
vers le grave que l’on nous propose habituellement dans ce genre d’œuvre. La
présence de la tragédienne, la beauté du timbre, les qualités d’interprétation
en font une interprète majeure de cette œuvre, et comme en plus ce soir là elle
était particulièrement bien entourée par un orchestre à son sommet et un chœur
d’hommes du Grand Théâtre d’une belle prestance, nous avons eu droit là à une
interprétation marquante de cette œuvre trop rare.
Enfin, la Huitième
symphonie de Dvorák terminait ce programme. L’on sait les liens qui unirent
Dvorák à Brahms et les qualités que celui-ci lui trouvait. Si l’on a, dans la
production du compositeur tchèque, quelques œuvres verbeuses, notamment les
premières symphonies ou les premiers quatuors, il parvint par son grand talent
très tôt reconnu par Brahms, à en mener les genres à des sommets, dont la Huitième Symphonie est assurément l’un
des exemples les plus parlants. Cette œuvre, commandée en Angleterre après
l’engouement suscité par la création de la Septième
symphonie en 1885, a été créée à Prague en février 1890, sous la direction
du compositeur. C’est la consécration de Dvorák en dehors de l’espace
germanophone – à l’époque, Prague fait partie de l’Empire Habsbourg – jusqu’à
New York en 1892, qui conduira à la célébrissime Symphonie du Nouveau Monde. Il y a dans la Huitième symphonie une liberté de ton qui est celle d’un
compositeur affranchi en pleine possession de ses moyens et sûr de lui.
L’introduction assez lente nous offre des violoncelles
dont on apprécie immédiatement la beauté chaleureuse du timbre, nous mène à L’allegro con brio joué avec le brio
qu’il fallait, par un orchestre en place, survolté et d’une richesse
d’intonations qu’on ne lui trouve que dans ses meilleures soirées. La musique
traditionnelle bohème et morave occupe une place de choix dans la Huitième symphonie de Dvorák, notamment
dans l’Adagio, même si les motifs
traditionnels sont bousculés par une influence beethovénienne qui le touchait
lui comme tous les autres musiciens de l’époque. L’Allegretto grazioso remplace le traditionnel Scherzo comme troisième mouvement et offre une valse élégante dont
la mélodie emporte immédiatement l’adhésion du public. Le Finale, Allegro ma non troppo est joué quasi attaca par Janowski, qui nous entraîne
dans une fanfare de trompettes menant à de multiples variations qui font de ce
mouvement l’un des plus beaux du répertoire symphonique. Surtout, nous avons
plaisir à entendre toute la richesse des timbres de l’OSR, qui nous rappelait
qu’Ansermet en son temps consacrait parfois des répétitions entières uniquement
aux timbres des instruments. C’est ce travail sur les timbres qui avait donné à
l’OSR son identité sonore, avant que celle-ci ne se fonde dans la
mondialisation et l’uniformisation des sonorités dont seuls quelques rares
orchestres aujourd’hui parviennent à se tenir à l’écart. Hier soir, on a
retrouvé une richesse trop souvent inexploitée, dans une œuvre qui les appelle
particulièrement, c’est vrai, mais également dans un plaisir de jouer ensemble
communicatif sous une baguette précise et dynamique. Du grand art !
Ce fut donc là la plus belle des ouvertures de saison
que l’on pouvait espérer et si l’orchestre et son chef poursuivent sur un tel
niveau, l’OSR est assurément cette année dans les meilleures phalanges du
continent. A confirmer dès la semaine prochaine dans le deuxième concert
d’abonnement de la série symphonie, dans un programme entièrement consacré à
Brahms.
17 septembre 2009
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