Charles Dutoit dirigeait deux concerts de l’OSR les 14
et 15 janvier 2010, aux programmes identiques, associant deux compositeurs
russes, Stravinski et Khachaturian, qui s’ouvraient sur les Symphonies d’instruments à vents, dans
sa version originale de 1920 et se terminait sur le Sacre du printemps, deux œuvres qui encadraient le Concerto pour piano et orchestre en ré bémol
majeur, de 1936, d’Aram Khachaturian.
Stravinski est un compositeur bien connu de
l’Orchestre, qu’il est venu diriger de nombreuses fois à l’époque de son amitié
avec Ansermet. Pas très bon chef d’orchestre, Stravinski aura été mieux servi
par Ansermet que par lui-même et l’importance des gravures du fondateur de
l’OSR pour l’œuvre de Stravinski n’est plus à souligner. Les Symphonies d’instruments à vent, qui
date de 1920, s’entend au sens étymologique du terme, comme des instruments
jouant ensemble, les uns avec les autres. Initialement conçue comme un hommage
à Debussy, disparu en 1918, cette œuvre emprunte à la liturgie funèbre
orthodoxe. La structure de l’œuvre et les sonorités déployées, bien loin de la
joie mélodieuse de Pulcinella, ont
déconcerté les auditeurs de la création, sous la direction de Koussevitsky en
juin 1921. Stravinski reprendra l’orchestration de sa partition en 1947, mais
c’est la version originale que nous entendions ce soir. La dédicace à Debussy
témoigne de l’estime mutuelle dans laquelle se tenaient les deux hommes, malgré
quelques heurts et certaines prises de distance artistiques – Stravinski
trouvait Pelleas et Mélisande fort
ennuyeux… Les Symphonies d’instruments à
vents ne se sont jamais imposées au répertoire, bien qu’elles soient l’une
des œuvres les plus abouties de leur auteur par leur concision – elles durent
moins de dix minutes à elles trois – et en position de charnière dans son
œuvre, entre les grands ballets et les symphonies suivantes, notamment la Symphonie de psaumes et la Symphonie en trois mouvements.
Novatrices par les structures statiques et disparates qui s’y succèdent sans
transition pour finir par se heurter, s’entrechoquer, elles permettaient une
parfaite entrée en matière pour ce concert, en nous offrant les vents de l’OSR
seuls, comme on les entend rarement.


Tout a déjà été mille fois dit, écrit et entendu sur
ces tableaux d’une Russie païenne qui donnent à voir le sacrifice rituel d’une
vierge à la nature renaissante et qui forment le Sacre du Printemps. C’est une œuvre crée au piano à quatre mains
par Debussy et Stravinski, avant de l’être comme ballet sous la direction de
Pierre Monteux, en 1913, dans ce qui demeure l’un des plus beaux scandales de
l’histoire de la musique, le public en étant finalement venu aux mains dans un
brouhaha indescriptible dans lequel on se demande bien ce qui a pu être perçu
de l’œuvre. A l’issue de cette première, Stravinski s’avoua « excité, furieux, dégoûté… et heureux »
quand Diaghilev lui dit que c’était là exactement ce qu’il voulait !
Depuis toujours au répertoire de l’OSR, depuis longtemps à celui de Charles
Dutoit, qui la connaît sur le bout des doigts même s’il garde la partition sous
les yeux, elle gardait toute sa force primitive ce soir là. Il y a de la
puissance, de la violence, de l’amour dans cette interprétation qui commence
elle aussi comme une symphonie d’instruments à vents, au basson d’abord avant
les autres pupitres. La précision rythmique du chef est nécessaire dans cette pièce
qui rendrait fou un métronome et l’orchestre a pu nous livrer là une fort belle
interprétation, ciselée, emportée, fort bien timbrée, étourdissante par moment,
dans un déchaînement sonore qui nous emporte sans nous assommer grâce à la
maîtrise du chef. Nous avions déjà entendu plusieurs fois le Sacre par l’OSR, déjà par Dutoit, et
c’est toujours un plaisir renouvelé. Le chef la porte comme l’œuvre musicale
qui a changé sa vie et je crois qu’elle frappe et surprend toujours autant,
même à l’écouter régulièrement au concert comme au disque.
17 janvier 2010
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.