Deux soirs de
suite, les 24 et 25 mars 2011, l’OSR donnait, sous la direction de Marek
Janowski, la dernière symphonie de Robert Schumann, opus 120, dans sa version
de 1851. Par deux fois également, le concert s’ouvrait sur Les Hébrides, Ouverture en si mineur, op. 26 de Félix Mendelssohn
et c’est au soliste invité qu’il revenait de marquer la différence entre ces
deux programmes.
Les Hébrides est une ouverture de
concert composée par Mendelssohn lors de son voyage en Ecosse et
particulièrement sur l’îlot désert et rocheux de Staffa. Il n’y a pas là
toutefois de musique à programme et Richard Wagner, qui appréciait cette œuvre
et la dirigeait souvent, estimait que l’on n’avait besoin d’aucun support
littéraire pour en apprécier les beautés. Soit, elle reste néanmoins une
ouverture de concert qui permet d’introduire un programme plus vaste de manière
agréable, en mettant d’amblée tout le monde d’accord pour la suite. Il y a chez
Mendelssohn une facilité fascinante qui confine évidemment au génie. Je n’y
trouve cependant pas les profondeurs d’inspirations d’un Mozart ou la créativité
fondatrice d’un Haydn. La facilité me semble toujours être trop visible pour me
permettre d’apprécier davantage que comme une agréable ouverture de concert une
œuvre de ce genre.
Le soliste du
premier soir, dans la série Grands classiques, était le jeune pianiste de
dix-huit ans, Kit Armstrong, à qui l’on avait confié le Concerto pour piano et orchestre N°1, en mi mineur, op. 11, de
Frédéric Chopin. « Chapeau bas,
Messieurs, un génie ! » s’était exprimé Robert Schumann en
prenant connaissance des premières partitions de Chopin. Ce génie de vingt ans
qui compose coup sur coup deux des plus célèbres concertos du répertoire est
évident. Strictement contemporain de Mendelssohn et de Schumann, nous avons là
trois compositeurs clés de la musique romantique, morts jeunes et tourmentés.
Créé en octobre 1830 au Théâtre national de Varsovie par le compositeur, ce fut
en fait le dernier concert que celui-ci donna dans son pays natal. Lorsqu’il
assista à un concert de Chopin à Paris, le 26 avril 1841, Franz Liszt
écrivit : « Et l’on avait
raison d’être ainsi avide, attentif, religieusement ému, car celui que l’on
attendait, ce n’était pas seulement un artiste de grand renom, c’était tout
cela et plus que cela, c’était Chopin » ! C’est vrai que
l’attente est toujours avide lorsque s’annonce un concerto de Chopin et il faut
au pianiste qui le présente sans doute une certaine dose d’inconscience pour
oser prétendre avoir quelque chose à dire dans une œuvre aussi connue et dont
tous les plus grands pianistes ont gravé des versions de références
innombrables. Le jeune Kit Armstrong avait pour lui d’avoir l’âge de Chopin,
peu s’en faut, au moment de la création de l’œuvre. Annoncé comme un artiste
déjà de grand renom – cinq fois vainqueur du Morton Gould Young Composer Award ou partant en tournée avec le Gewandhaus zu Leipzig et Riccardo
Chailly dans le concerto de Schumann, il n’a pas manqué de recevoir les
ovations du public. Ce fut cependant un peu court, jeune homme.
Systématiquement en avance sur l’orchestre, au point que l’on se dise que ce
fût sans doute voulu, il imprégnait cette œuvre d’une certaine urgence. Selon
Chopin, dans une lettre à son ami Tytus Wojciechowski, du 10 avril 1830,
« c’est une romance tranquille et
mélancolique. L’effet visé est celui d’un regard calmement posé sur un lieu qui
réveille mille souvenirs doux, comme une rêverie au clair de lune printanier ».
Ce réveil par Kit Armstrong était plutôt en sursaut et il ne nous a pas permis
de nous alanguir au clair de lune. Il avait cependant le mérite de vouloir
faire quelque chose de cette œuvre, de vouloir en dire quelque chose et il y
réussit partiellement mais pas suffisamment pour que nous ne ressortîmes pas de
la salle avec un certain sentiment de banalité déjà entendue si souvent.
Le lendemain,
ce fut au violoniste russe Boris Brovtsyn qu’il fut demandé de défendre le Poème pour violon et orchestre, op. 25,
d’Ernest Chausson, et le Tzigane,
Rhapsodie de concert pour violon et orchestre, de Maurice Ravel. Chausson
compose son Poème alors qu’il se
plonge dans la littérature russe et spécialement les œuvres de Dostoïevski et
de Tolstoï et c’est sur une nouvelle de Tourgueniev qu’il trouve le support
littéraire de sa pièce. En un seul mouvement, selon les préceptes d’unité de
structure chers à son Maître César Franck, l’œuvre annonce le point culminant
de la carrière de Chausson. Brovtsyn s’y montra souverain certes mais parfois
un peu superficiel, ne faisant pas pleinement ressortir le côté symboliste de
Tourgueniev.
Dans Tzigane, œuvre plus récente que les
autres puisqu’elle date de 1924, Ravel se montre redoutable pour le violoniste,
plus encore que dans sa sonate pour violon et piano composée quatre ans
auparavant. A la recherche, selon ses propres termes, de la perfection
technique, il l’exige de son interprète. Les idées d’Edgar Allan Poe sur la
création artistique l’avaient profondément marqué, pour qui il convenait qu’une
conception logique et bien délibérée, de bonnes proportions dans la brièveté
permettent d’atteindre la beauté et la perfection technique. C’est un peu cette
dernière qui prit le dessus ce soir dans le jeu de Brovtsyn, au détriment de la
recherche d’une certaine beauté. Le jeu nous a semblé parfois assez dur, sinon
agressif, se souvenant davantage des pages acrobatiques de Liszt ou de Paganini
que des vues de Poe.
Enfin, la Symphonie N°4, en ré mineur, op. 120, de
Robert Schumann terminait fort bellement chacun des deux concerts. C’est une
œuvre qui convient bien à Janowski, qui permet à l’orchestre de s’y montrer
excellent, au niveau de ses interprétations de Brahms entendues en début de
saison dernière. L’ordre des symphonies chez Schumann ne correspond pas à la
numérotation officielle. Celle que nous appelons la quatrième, fut en fait
composée en deuxième avant d’être remaniée dix ans après sa création dont
Schumann ne fut pas satisfait. Il avait entretemps composé deux autres
symphonies, la Troisième, dite Rhénane, et une quatrième qui devint la deuxième
après la révision et la postposition de la deuxième. En quatre mouvements
traditionnels mais qui s’enchaînent sans interruption, elle offre un parcours
cyclique où s’enchevêtrent les liens thématiques qui renforcent l’unité de
l’œuvre ébranlée par l’enchaînement des parties. La rigueur de Janowski y fit
merveille pour bien ordonner tout le matériau thématique dans lequel les
instrumentistes de l’OSR pouvaient pleinement s’exprimer.
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