Pacific 231, Mouvement
symphonique N°1
d’Arthur Honegger ouvrait le programme du quatrième concert d’abonnement de la
série répertoire, ce jeudi 18 février 2010. La musique d’Honegger avait reçu un
accueil particulièrement chaleureux en Suisse, notamment de la part d’Ernest
Ansermet, qui voyait dans la musique de ce Français né de parents Zurichois
l’expression de la symbiose tant attendue des cultures latines et germaniques. Honegger
a lui-même reconnu que cet « atavisme
suisse », que Darius Milhaud appelait sa « sensibilité helvétique », était au cœur de son être. Très
individualiste, Honegger ne s’est jamais reconnu dans une quelconque esthétique
collective, notamment pas dans celle – par ailleurs inexistante – du Groupe des
six, formule de Henri Collet, adoptée en 1920 après un concert regroupant les
œuvres des six en un même programme. Cocteau dira néanmoins en oraison funèbre de
son ami Arthur : « tu as mêlé
au savoir-faire d’un architecte du Moyen Age la simplicité d’un bâtisseur de
cathédrales ».
Composés entre 1923 et 1928, les deux mouvements
symphoniques Pacific 231 et Rugby
forment un premier essai d’écriture en forme symphonique, la première des cinq
symphonies du compositeur suivant rapidement, en 1930, comme une commande de
l’Orchestre symphonique de Boston pour fêter son cinquantième anniversaire. Il
n’y avait pour Honegger nul programme derrière ces deux mouvements
symphoniques, qu’il préférait qualifier de musique pure, tout en avouant que le
premier mouvement entendu ce soir trouvait la source de son inspiration dans
son amour des trains et de la vitesse. Bien qu’il tentât de le nier, Pacific 231, du nom d’une locomotive
célèbre alors, reste un portrait saisissant de réalisme d’une locomotive qui se
met en marche, accélère vers sa pleine vitesse puis ralentit. C’est un peu là
la lointaine préfiguration de ce que l’on appellera, dans les années 1980,
l’art mécanique. C’est d’un très grand orchestre dont a besoin Honegger pour
cette œuvre aux accords dissonants d’une impeccable orchestration, qui frisait
néanmoins la provocation à l’époque. Il n’en demeure pas moins que la création
en mai 1924 à Paris sous la direction de Serge Koussevitsky fut un
triomphe ! Ce morceau représente finalement l’illustration parfaite d’un moment de l’histoire de la
culture européenne, entre les deux guerres mondiales, marquée par une
fascination pour le bruit, la machinerie et le mouvement sous toutes ses
formes. L’on peut à raison voir dans ce mouvement symphonique le pendant
musical du courant futuriste dans la peinture de l’époque, notamment incarné
par les époux Delaunay, mais aussi les risques politiques d’une évolution non
démocratique, car le futurisme était aussi la position artistique la plus
représentative du mouvement mussolinien dans les années 1920, notamment avec le
Novecento.
Klaus Weise, que nous avions entendu au Grand Théâtre
dans de bons Meistersinger von Nürnberg
dirigeait ce soir cette musique sous un angle plus germanique que latin. C’est
l’une de ces œuvres qui appartient au répertoire historique, fondamental de
l’OSR et l’on sent un plaisir certain à la jouer. Les qualités de
l’orchestration d’Honegger sont bien mises en valeur par un orchestre à son
meilleurs niveau et dont les basses notamment assurent une assise solide au
développement de ce mouvement, véritables rails sur lesquels Pacific 231 peut s’élancer, accélérer
puis ralentir pour s’arrêter finalement son trajet accompli.
Une création mondiale nous était ensuite proposée,
commande de l’OSR, sur un texte de Metin Arditi, par ailleurs Président de la
Fondation de l’OSR, et une musique de Jean-Luc Darbellay, compositeur helvétique
au catalogue déjà bien rempli, notamment de précédentes commandes de l’OSR. La Dernière lettre à Théo est écrite comme la
lettre d’adieu du peintre Vincent Van Gogh à son frère, Théo, avant sa mort. Le
texte est découpé en sept strophes ou parties, Le souvenir du père, Les
tubes, Les blés, L’autoportrait, Aux arènes, L’oreille et La
mort. Le texte commence par annoncer la fin : « A quoi bon Théo ? Tout à l’heure ce
sera fini. C’était fini depuis toujours… ». L’on passe en revu les
principaux épisodes de la vie du peintre qui, de son vivant, n’a jamais vendu
qu’un seul tableau, prototype de l’artiste incompris. Le soir où il mangea ses
tubes de peinture, le peintre l’a fait « pour se déguiser en tableau », pour devenir « jaune ! Bleu ! Vert ! »
« On me parle comme à un fou, parce
que je peins le ciel en rouge-orange ou en vert Véronèse. Je sais que ce n’est
pas les couleurs qu’on voit. Je peins mon émotion que veux-tu ».
L’autoportrait et l’ablation de l’oreille sont aussi traités, évidemment, avant
la mort, où l’on retrouve les couleurs du peintre : « Tout à l’heure au milieu des blés je me
donnerai du plaisir. Je tiendrai les épis de blé contre mon cœur. J’en prendrai
autant que j’aurai la force d’en saisir et je les serrerai contre moi.
J’offrirai mon échine au soleil. J’embrasserai ces blés que j’aime tant, je
m’allongerai sur eux, leurs épis me caresseront le visage, je mettrai la main
dans la poche, j’appuierai sur la gâchette, la balle me percera le ventre, mon
sang se mêlera à ma semence, et j’en mouillerai la terre, comme on se déverse
dans l’être qu’on aime ».
La musique de Jean-Luc Darbellay épouse le texte, le
souligne, l’embrasse, le couvre aussi parfois car il fait appel à un orchestre
important, presqu’autant que celui d’Honegger. Le baryton suisse Rudolf Rosen,
pour sa première invitation à l’OSR nous a montré une riche palette de couleurs
vocales, un grave profond, un médium riche, un aigu peu sollicité ici, des
nuances de volumes importantes, du chuchotement au cri, et une maîtrise
particulière de ce qui n’est finalement qu’une forme de sprechgesang parfaitement aboutie. L’orchestre est assez expressionniste,
très coloré, ce qui convient parfaitement au sujet choisi, notamment lorsqu’il
dépeint le vent, la mer ou l’orage, dans une approche quasi naturaliste. Ce fut
une très belle création qui mérite d’être reprise pour entrer réellement au
répertoire car le texte est fort et la musique belle.
En fin de programme Klaus Weise nous offrait un poème
symphonique de Richard Strauss largement ressassé depuis que Stanley Kubrick a
fait de ses premières mesures la musique de son film 2001 L’odyssée de l’espace. Also
sprach Zarathustra précède les premiers opéras de Strauss et date de 1896.
C’est une œuvre qui sollicite une fois encore un grand orchestre, notamment aux
graves profonds, et l’on n’aura rarement entendu le contrebasson et la
clarinette basse autant sollicités que dans les trois œuvres de ce soir. En
dehors de cela, je me suis un peu ennuyé dans ce dernier poème symphonique,
mais il est que c’est essentiellement à l’opéra que j’apprécie Strauss et que
je n’ai trouvé que Fritz Reiner pour faire vivre à mes oreilles ce Zarathustra. Il n’en demeure pas moins
que l’interprétation était d’un niveau tout à fait convenable, avec un
orchestre bien en place aux timbres prononcés – que personnellement je n’ai pas
beaucoup aimé aux cordes, mais qui n’en manquait pas pour autant de
personnalité. C’est donc ce soir l’OSR dans toutes ses forces vives qui nous a
été donné à entendre et la démonstration de puissance, maîtrisée, est
convaincante. La direction du chef est également bonne, mais pas de celles qui
marqueront pour autant l’histoire des concerts d’abonnement de l’OSR.
21 février 2010
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