La série des Concerts organisés par Migros Classique
en est à sa soixante-et-unième saison et se penche avec raison sur de jeunes
talents musicaux suisses, ce soir le Zurichois Christian Polterra au viloncelle.
Le Luzerner
Sinfonieorchester (LSO) était donc ce 5 février 2010 sur la scène du
Victoria Hall de Genève. Fondé en 1806 (Beethoven avait 36 ans, Schubert
n’était qu’un gamin et Schumann pas encore né) sur les bords du Lac des Quatre
Cantons, le LSO est donc le doyen des orchestre symphonique helvétiques et l’un
des acteurs de l’essor musical de la ville de Lucerne en développant une ligne
artistique entre tradition et innovation, qui continue à jouer un rôle culturel
important, dans une formation unique entre grand orchestre symphonique et
orchestre de chambre. Ayant fixé sa résidence dans le fameux KKL, le LSO est
également l’ensemble attitré du Théâtre de Lucerne, où il aborde un large
répertoire lyrique.
Il était dirigé ce soir par son nouveau chef attitré,
qui prendra ses fonctions au début de la saison 2011-2012, un jeune chef
américain à peine trentenaire, James Gaffigan. Ce jeune chef est réellement
prometteur et l’entendre était réjouissant, d’autant qu’il dirigeait un
excellent orchestre bien en place, avec lequel il disposait déjà manifestement
d’une bonne entente. Toutefois ce chef issu de la Juliard School, comme tous
les musiciens américains ou presque, nous donne à entendre un son et un art
typique de l’enseignement d’outre atlantique, basé sur une technique
infaillible et un formatage général appliqué en matière artistique comme
ailleurs. L’on pourrait louer le caractère universel de la musique, lorsque des
œuvres russes et tchèques sont jouées – et fort bien jouées – par un orchestre
suisse sous une baguette américaine. C’est malheureusement aussi le symbole
d’une certaine mondialisation basée sur l’uniformisation qui fait que l’on joue
aujourd’hui de la même manière n’importe quel compositeur, sans se soucier des
sonorités propres à ses origines culturelles, sans se soucier davantage de
présenter une sonorité personnelle à chaque orchestre. Finalement, que ce fût
ce soir là le LSO ou n’importe quel autre orchestre, James Gaffigan ou
n’importe quel autre chef, Dvorak ou n’importe quel autre compositeur, nous
eussions entendu le même jeu, le même son, vu la même gestique engagée certes,
mais uniforme. Est-ce là la raison qui nous a fait ressentir certains moments
comme un peu vides, manquant de profondeur, d’inspiration ? Oui la musique
est universelle, il n’en demeure pas moins que Moussorgski joué par un
orchestre russe, Martinu ou Dvorak par un tchèque, ne sonnent à nul autre
pareil et que c’est aussi cela la richesse universelle de la musique.
Le Prélude et
la Danse des esclaves persanes de La Khovantchina, dernier opéra de
Modeste Moussorgski, ouvrait ce concert dans une belle introduction dans
laquelle la clarinette se perdait toutefois un peu, peinant ensuite à reprendre
sa ligne.
Le Concerto pour
violoncelle et orchestre N°1 de Bohuslav Martinu était confié à l’archet du
talent suisse Christian Polterra, musicien de très grande taille qui nous fait
sembler si petit son instrument entre de telles mains. Martinu est un
compositeur honteusement négligé dans les programmes de concerts comme au
disque, pourtant prolifique dans tous les genres. Ce concerto, composé en 1930
est sa première grande œuvre de maturité. A une première version pour orchestre
de chambre ont succédé deux autres versions avec un orchestre plus fourni.
Dédié au violoncelliste français Pierre Fournier, qui en avait donné dans cette
même salle du Victoria Hall une version fondatrice en 1978, avec l’Orchestre de
la Suisse Romande sous la direction de son directeur d’alors, Wolfgang
Sawallisch, c’est l’un des concertos majeurs pour cet instrument que le XXème
siècle ait produit. Malgré les influences multiples auxquelles Martinu a été
exposé en France, en Suisse ou aux Etats-Unis, son œuvre est globalement et
fondamentalement tchèque. Martinu a abondamment exprimé dans sa musique son
nationalisme, puisant largement dans les fonds littéraires, folkloriques et
mythologiques de son pays. Il est, après Smetana, Dvorak et Janacek, le
quatrième grand compositeur tchèque.
C’est sans doute cette dimension culturelle qui manquait
à l’interprétation autrement irréprochable de Christian Poltera. Sa grande
taille lui permet d’entourer son violoncelle comme un enfant et c’est peut-être
également là ce qui nous a donné une impression de facilité parfois, notamment
dans le mouvement central, pivot de l’œuvre, l’Andante moderato, joué comme sans y prêter attention, sans du moins
cette dimension tchèque qui fait le cœur de cette œuvre, dimension qui manquait
également au chef et à l’orchestre, eux aussi par ailleurs irréprochables,
sonnant juste et bien, mais sans que cela ne suffise à réellement habiter une
pièce et à la rendre dans une interprétation suffisamment approfondie.
Les mêmes qualités et les mêmes défauts s’attachaient
à la Septième Symphonie en ré mineur, op.
70 d’Anton Dvorak donnée en seconde partie de concert. De la même manière
que Martinu, l’œuvre de Dvorak, prise à l’époque au sein de l’Empire
Austro-hongrois, Etat multiethnique aux sources culturelles innombrables, qui
plus est en l’espèce commande de la Société Philarmonique de Londres, où elle a
été créée en 1885 avec un grand succès, est le fruit de multiples influences
sans en perdre pour autant son caractère profondément nationaliste. Faut-il
pour s’en convaincre rappeler ces mots du compositeur à son éditeur, Fritz
Simrock : « Tout artiste a sa
patrie, à laquelle il doit croire fermement et vouer de l’ardeur ».
Finalement, nous avions ce soir-là sur scène de
parfaits exemples de la mondialisation, courant sur trois siècles, mais
relevant de deux catégories différentes. La première, du côté des compositeurs,
qui sont à mêmes d’exprimer leurs cultures de façon très traditionnelle grâce à
la dimension universelle de la musique, qui sont en conséquence capables de
faire partager cette culture à des auditeurs qui ne la connaissent pas mais
sont prêts à l’entendre. Aujourd’hui, force est de reconnaître que la dimension
universelle a pris le pas sur les particularités culturelles de chacun et que
l’on est appelé à entendre comme à jouer des œuvres qui font partie du grand
répertoire, sans plus s’interroger sur ce qu’elles sont, comme si leur
inscription dans le patrimoine de l’humanité les privait de toute leur
individualité. C’est très beau, c’est fort bien fait, c’est un concerto, c’est
une symphonie, ce n’est plus ni Martinu ni Dvorak et c’est bien dommage.
Le site de l’Orchestre :
Le site du Chef :
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