Le 2 octobre 2009, la série des Grands Interprètes
ouvrait sa saison avec un récital hautement attendu de Krystian Zimerman. Rare
au disque comme au concert (il n’en donne que cinquante par an), il n’était
plus venu s’offrir au public genevois depuis son récital de 2003, dont le
souvenir demeure encore vif chez bon nombre de mélomanes.
Krystian Zimerman, c’est avant tout une élégance.
Celle de l’homme, simple dans son frac noir, le cheveu et la barbe argentés. Celle
du jeu, en toute circonstance, dans les moments les plus poétiques comme les
plus violents, dans la grâce comme dans la virtuosité la plus exigeante. Celle
de l’artiste dans son choix de programme, alignant des œuvres incontournables
avec des raretés bienvenues.
Ce soir là, c’est à un parcours dans l’histoire du
piano que nous conviait Krystian Zimermam. Une histoire en quatre étapes,
quatre fondamentaux, de Bach à Szymanowski, en passant par Beethoven et Brahms.
L’essentiel. Oui, l’essentiel, même pour Szymanowski, trop méconnu et trop
rarement joué, mais recélant de telles qualités que le compositeur se hisse
dans ses variations au niveau de Chopin sans hésiter.
De Bach donc, la Partita
N°2 en ut mineur, BWV 826. La Sinfonia
est commencée assez lentement, de manière déroutante, qui ne nous permettait
pas d’entrer immédiatement dans son propos. Des subtilités de l’interprète qui
ne nous ont pas toujours semblé judicieuses, mais dans l’ensemble une œuvre
fondamentale présentée dans une interprétation exigeante, claire, aux
variations multiples. On le sait, les œuvres de Bach sont écrites pour clavier
et non pour piano, ce qui rend possible de les jouer à l’orgue, au clavecin, au
pianoforte ou au piano moderne, selon les envies et les interprètes. Krystian
Zimermann nous a offert des sonorités qui faisaient de son instrument la
quintessence de tous les claviers. C’est à l’orgue que l’on pensait parfois,
dans l’Allemande, tant était profonde
la sonorité obtenue, au clavecin à d’autres moments, lorsque la Sarabande se faisait légère et vive, aux
évolutions du piano ensuite, dans le Rondeau
et le Capriccio final.
Le dernier Beethoven ensuite, l’ultime Sonate N°32 en ut mineur, op. 111. Le
jeu est romantique, la puissance et les emportements sont là, mais toujours
avec cette élégance qui les rends musicaux et non guindés. C’est la noblesse de
Beethoven que l’on entend dans une œuvre tellement jouée qu’elle est difficile
à interpréter. Que n’a-t-on pas déjà entendu là ? Tout n’a-t-il pas été
dit ? Certainement pas avec un pianiste du talent de Krystian Zimerman,
qui referme le Sturm und Drang de
l’explosion romantique pour annoncer la suite. Mais ce fameux passage de l’Arietta avec son rythme à six temps
n’est-il pas somme toute le premier boogie
de l’histoire de la musique ? Modernité de Beethoven que Zimerman ne
pousse pas au-delà du raisonnable, maintenant le caractère requis par la
partition : Adagio molto semplice e
cantabile. Cette simplicité si rare nous était totalement donnée ce soir là
et tellement chantante !
Le dernier Brahms encore, celui des Klaviestücke op. 119, dernière œuvre du
compositeur, quatre miniatures, trois Intermezzi
et une Rhapsodie finale. Zimerman ne
nous présente pas les brumes de la mer du nord dans lesquelles certains se
croient obligés de se perdre, mais bien plutôt une transparence tranchante, qui
bat en brèche les idées reçues et les facilités acquises. Hambourg à Vienne en
quelque sorte. La délicatesse de la première pièce, qui avait tant plu à Clara
Schumann quand Brahms la lui fit découvrir enchanta le public ce soir, car
Zimerman nous donnait à entendre ses accords complexes dépouillés, avec la plus
grande simplicité apparente. La deuxième pièce varie avec plus de tension,
présentant une valse en seconde partie, après qu’une première mélodie réussit à
progressivement s’affirmer. Le troisième Intermezzo
est plein d’humour, chose rare chez Brahms, un humour simple et de bon goût,
tel que le rendit Zimerman. Enfin, la Rhapsodie finale qui s’élance vers une
course infernale de triolets échevelés, passant de majeur en mineur, vitalité
créatrice d’un vieil homme et d’un pianiste confirmé, les obscurités de l’œuvre
ne portent pas atteinte au triomphe de l’interprète.
Szymanowski pour terminer, que l’on peut a priori être
surpris de trouver en si bonne compagnie. S’il ne jouit manifestement pas de la
notoriété des autres compositeurs au programme ce soir, ou de son compatriote
Chopin, Szymanowski n’en est pas moins l’une des figures dominantes de la vie
culturelle polonaise au court du siècle qui suivit la mort de son illustre aîné
et Chopin a certainement été pour lui le géant que Brahms entendait marcher
constamment derrière lui en la personne de Beethoven. Excellent pianiste,
Szymanowski était également connu comme interprète et composa essentiellement
pour son propre instrument. Les Variations
sur un thème populaire polonais, op. 10 ont été composées entre 1900 et
1904 et appartiennent à la première partie de la vie créatrice du compositeur.
Dans cette œuvre, il crée une architecture très impressionnante où son thème se
développe tout en restant toujours reconnaissable, tendant vers une musique
absolue. Il y a dans ces pages un foisonnement sonore exaltant qui exploite
tous les registres du clavier. Les deux dernières variations revendiquent
d’ailleurs avec force le pouvoir d’exaltation de la musique, dans un désir de
dépasser toute contingence physique. Zimerman se livre totalement dans cette
œuvre dont il maîtrise profondément le sens et possède une joie profonde à
l’exécuter en public. C’est incontestablement une œuvre où l’engagement
physique est important, engagement dans lequel Zimerman s’engage résolument
mais sans en faire une fin en soi, ne cherchant pas à étaler des capacités
connues et reconnues, mais à rendre une vraie musicalité, à laquelle il sait garder
en toutes circonstances cette grâce qui le caractérise et lui va si bien, ainsi
qu’aux œuvres abordées.
Un moment de rare musique en somme par un musicien qui
est de plus l’un des très rares à maîtriser également la facture de son
instrument, apprise au cours de longues années de collaboration avec la firme
Steinway & Sons à Hambourg. C’est ainsi qu’il accorde lui-même son
instrument, comme le faisait en son temps Arturo Benedetti Michelangeli.
Zimerman offre donc une approche totale du piano, dont il sait tous les
paramètres, toutes les possibilités et toutes les limites. S’il n’hésite pas à le
solliciter dans toutes ses capacités, notamment dans les Variations de Szymanowski, jamais il n’en approche des limites qui
en détérioreraient la musicalité. Cette pleine conscience de son instrument est
sans doute la clé et l’apport majeur de Zimerman à la musique d’aujourd’hui.
6 octobre 2009
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