dimanche 19 avril 2015

LIEDERABEND SCHUBERTIEN A SALZBOURG


Le Festival de Salzbourg fête cette année ses 90 ans par une programmation aussi riche en découvertes qu’il est de coutume en cette ville où la musique est reine depuis si longtemps. Ce lundi 23 août s’ouvre la dernière semaine de l’édition 2010 et le premier concert auquel j’ai ainsi assisté était consacré, par Matthias Görne et Christoph Eschenbach, au dernier cycle de lieder de Franz Schubert. Ces deux musiciens se sont livrés, en trois soirs rapprochés, les 17, 20 et finalement 23 août, aux trois cycles de Schubert, commençant comme il se doit par Die schöne Müllerin, D795, continuant par Winterreise, D911, et terminant ce dernier soir par Schwannengesang, D957, couplé avec la dernière sonate pour piano, D960.
Présenter ainsi en trois soirs ces trois cycles qui sont les plus importants en la matière de l’histoire de la musique est un véritable tour de force qu’un baryton de la classe et de l’envergure de Matthias Görne pouvait sans doute être le mieux à même de tenter et de réussir. La qualité des textes poétiques, dus à Wilhelm Müller pour les deux premiers, puis à Ludwig Rellstab et Heinrich Heine pour le dernier, donne une remarquable base aux développements musicaux si sensibles, si intimes, de Schubert. Le dernier cycle, Schwannengesang n’en est à vrai dire pas un. Il s’agit en effet d’un recueil composé arbitrairement par l’éditeur de Schubert après la mort de celui-ci, qui souhaitait sans doute le présenter comme une sorte de testament musical. Il n’existe ainsi pas d’unité thématique dans ce cycle de treize poèmes, sept de Rellstab et six de Heine, auquel, afin d’éviter le chiffre fatidique de treize, l’éditeur ajouta un quatorzième lied sur un poème de Johann Gabriel Seidl, Die Taubenpost, qui permettait également de terminer le recueil sur un note plus positive et légère. L’on ne saurait en effet voir dans ces lieder ainsi arbitrairement rassemblés un chant du cygne au sens propre, à savoir le dernier opus d’un compositeur se sachant proche de la mort. Il y a trop de sentiments divers dans ce recueil pour l’envisager comme un testament, pas davantage d’ailleurs que l’on ne saurait considérer comme telle la dernière sonate pour piano, D960. Bien plus, l’on sait maintenant qu’il y aurait en fait là deux cycles, Schubert ayant regroupé ces lieder dans deux cahiers distincts, le premier consacré à Heine, le second à Rellstab.
Dans les lieder présentés ce soir, le choix de Matthias Görne fut légèrement différent du contenu du cycle habituellement donné, en ce sens qu’il a ajouté aux lieder sur des poèmes de Rellstab le lied Hebst, D945, usuellement présenté isolé et que c’est en bis qu’il chanta Die Taubenpost. De plus, sans quitter la scène, il marqua une pause entre les lieder de Rellstab et ceux de Heine, présentant ainsi les deux cahiers de lieder pour eux même. Cette approche permettait de donner à ce recueil une meilleure cohésion en le limitant aux deux poètes les plus importants, tout en respectant le chiffre de quatorze lieder voulu par l’éditeur et de terminer malgré tout sur cette note plus positive et légère qui contredit à elle seule la notion de Schwannengesang.
Nous avons donc entendu ce soir, dans le premier cahier sur des poèmes de Ludwig Rellstab, Liebesbotschaft, messager d’un amour lointain : « Ach trautes Bächlein, mein Botes sei du ; Bringe di Grüße des Fernen ihr zu ». Kriegers Ahnung est d’aspect plus militaire, soulignant la camaraderie des gens d’armes endeuillés par la mort des leurs : « In tiefer Ruh liegt um mich her Der Waffenbrüder Kreis ». Frühlingssehnsucht dépeint un sentiment si germanique qu’il n’en existe pas de traduction satisfaisante. Ständchen, est une douce sérénade à l’atmosphère beaucoup plus sereine que les lieder précédents. Aufenthalt, appelle au repos. Herbst, offre des teintes automnales qui conviennent si profondément au timbre de Görne que ce fut sans doute là le premier sommet de la soirée. In der Ferne nous ramène à l’éloignement et à la solitude, alors que ce premier cahier se termine sur des adieux, Abschied, déchirants, puis sur les textes de Heine Der Atlas, Ihr Bild, Das Fischermädchen, Die Stadt, Am Meer et surtout Der Doppelgänger, sur lequel se termine ce cahier, avant de conclure sur Die Taubenpost hors programme.
La voix de Matthias Görne est remarquable en tout point. Quel souffle, quelle beauté de timbre et qu’elle aisance dans le passage d’un lied à l’autre, d’une ambiance à l’autre. Le souffle semble infini, tant il est profond et ample, le timbre est grave et chaleureux et s’il sait être particulièrement sombre, il peut aussi s’éclaircir et s’alléger. Des moyens si extraordinaires ne sont pas sans rappeler peut-être un Friedrich Schorr. Matthias Görne se donne totalement à ces lieder et c’est le corps entier qui participe à la projection de la voix, ce corps dont il use comme d’un support puissant et qui lui permet aussi de mettre en scène certains de ces lieder en prenant des attitudes et des poses contrastées. Ce fut un grand récital.
L’accompagnement était confié à Christophe Eschenbach, pianiste de renom qui a surtout développé ces dernières années des activités de chef d’orchestre. On lui doit néanmoins et notamment au disque l’accompagnement des lieder de Schumann enregistrés par Dietrich Fischer-Dieskau, repris récemment dans le coffret anniversaire de Deutsche Grammophon. Ce pianiste, longtemps un protégé de Karajan qui l’estimait beaucoup, est assurément un accompagnateur de haute tenue. L’on sentait néanmoins qu’il ne possédait plus les doigts de ses plus jeunes années et que si, musicalement, la présence est réelle et qu’elle offre une magnifique réponse aux engagements de Matthias Görne, il n’en est cependant pas à la hauteur. Certaines irrégularités, certaines fatigues peut-être étaient perceptibles ça et là. C’est là sans doute l’une des limites – rares – de Matthias Görne dans ses récitals. A vouloir souvent changer d’accompagnateur à la scène comme au disque – c’est avec Alfred Brendel qu’il avait enregistré ce dernier cycle de Schubert – il perd une certaine symbiose avec le pianiste, si nécessaire dans ce genre d’exercice.
C’est néanmoins surtout dans la dernière sonate D960 que les limites de Christophe Eschenbach se sont montrées. Le choix de cette dernière sonate pour compléter ce programme était particulièrement judicieux, non pas seulement par la proximité de composition des deux œuvres ou du fait qu’il s’agit de deux œuvres dernières, mais également et peut être surtout par la nature très particulière de cette dernière sonate de Schubert, la plus personnelle et la plus proche de ces lieder. Las, Eschenbach semblait incapable de se sortir de la partition qu’il ne quittait pas des yeux. L’interprétation n’était manifestement pas aboutie, au-delà même des faiblesses déjà relevées et qui paraissaient d’autant plus aisément qu’il n’y avait plus de partenaire qui puisse nous les masquer par un suprême engagement. Sans doute était –ce trop pour ce pianiste que de présenter les trois cycles et cette dernière sonate, qui semble n’avoir pas été suffisamment préparée et répétée, le poids de la préparation des trois cycles de lieder lui ayant sans doute laissé trop peu de place. Le public ne s’y est d’ailleurs pas trompé, saluant la prestation d’Eschenbach par des applaudissements courtois là où il avait réservé une véritable ovation à Matthias Görne auparavant.
26 août 2010

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