Le Festival de Salzbourg fête cette année ses
90 ans par une programmation aussi riche en découvertes qu’il est de coutume en
cette ville où la musique est reine depuis si longtemps. Ce lundi 23 août
s’ouvre la dernière semaine de l’édition 2010 et le premier concert auquel j’ai
ainsi assisté était consacré, par Matthias Görne et Christoph Eschenbach, au
dernier cycle de lieder de Franz Schubert. Ces deux musiciens se sont livrés,
en trois soirs rapprochés, les 17, 20 et finalement 23 août, aux trois cycles
de Schubert, commençant comme il se doit par Die schöne Müllerin, D795, continuant par Winterreise, D911, et terminant ce dernier soir par Schwannengesang, D957, couplé avec la
dernière sonate pour piano, D960.
Présenter ainsi en trois soirs ces trois cycles
qui sont les plus importants en la matière de l’histoire de la musique est un
véritable tour de force qu’un baryton de la classe et de l’envergure de Matthias
Görne pouvait sans doute être le mieux à même de tenter et de réussir. La
qualité des textes poétiques, dus à Wilhelm Müller pour les deux premiers, puis
à Ludwig Rellstab et Heinrich Heine pour le dernier, donne une remarquable base
aux développements musicaux si sensibles, si intimes, de Schubert. Le dernier cycle,
Schwannengesang n’en est à vrai dire
pas un. Il s’agit en effet d’un recueil composé arbitrairement par l’éditeur de
Schubert après la mort de celui-ci, qui souhaitait sans doute le présenter
comme une sorte de testament musical. Il n’existe ainsi pas d’unité thématique
dans ce cycle de treize poèmes, sept de Rellstab et six de Heine, auquel, afin
d’éviter le chiffre fatidique de treize, l’éditeur ajouta un quatorzième lied
sur un poème de Johann Gabriel Seidl, Die
Taubenpost, qui permettait également de terminer le recueil sur un note
plus positive et légère. L’on ne saurait en effet voir dans ces lieder ainsi
arbitrairement rassemblés un chant du cygne au sens propre, à savoir le dernier
opus d’un compositeur se sachant proche de la mort. Il y a trop de sentiments
divers dans ce recueil pour l’envisager comme un testament, pas davantage
d’ailleurs que l’on ne saurait considérer comme telle la dernière sonate pour
piano, D960. Bien plus, l’on sait maintenant qu’il y aurait en fait là deux
cycles, Schubert ayant regroupé ces lieder dans deux cahiers distincts, le
premier consacré à Heine, le second à Rellstab.
Dans les lieder présentés ce soir, le choix de
Matthias Görne fut légèrement différent du contenu du cycle habituellement
donné, en ce sens qu’il a ajouté aux lieder sur des poèmes de Rellstab le lied Hebst, D945, usuellement présenté isolé
et que c’est en bis qu’il chanta Die
Taubenpost. De plus, sans quitter la scène, il marqua une pause entre les
lieder de Rellstab et ceux de Heine, présentant ainsi les deux cahiers de
lieder pour eux même. Cette approche permettait de donner à ce recueil une
meilleure cohésion en le limitant aux deux poètes les plus importants, tout en
respectant le chiffre de quatorze lieder voulu par l’éditeur et de terminer malgré
tout sur cette note plus positive et légère qui contredit à elle seule la
notion de Schwannengesang.
Nous avons donc entendu ce soir,
dans le premier cahier sur des poèmes de Ludwig Rellstab, Liebesbotschaft, messager d’un amour lointain : « Ach trautes Bächlein, mein Botes sei du ; Bringe di Grüße des
Fernen ihr zu ». Kriegers
Ahnung est d’aspect plus militaire, soulignant la camaraderie des gens
d’armes endeuillés par la mort des leurs : « In tiefer Ruh liegt um mich her Der Waffenbrüder Kreis ». Frühlingssehnsucht dépeint un sentiment
si germanique qu’il n’en existe pas de traduction satisfaisante. Ständchen, est une douce sérénade à
l’atmosphère beaucoup plus sereine que les lieder précédents. Aufenthalt, appelle au repos. Herbst, offre des teintes automnales qui
conviennent si profondément au timbre de Görne que ce fut sans doute là le
premier sommet de la soirée. In der Ferne
nous ramène à l’éloignement et à la solitude, alors que ce premier cahier se
termine sur des adieux, Abschied, déchirants,
puis sur les textes de Heine Der Atlas,
Ihr Bild, Das Fischermädchen, Die Stadt, Am Meer et surtout Der Doppelgänger, sur lequel se termine
ce cahier, avant de conclure sur Die
Taubenpost hors programme.
La voix de Matthias Görne est
remarquable en tout point. Quel souffle, quelle beauté de timbre et qu’elle
aisance dans le passage d’un lied à l’autre, d’une ambiance à l’autre. Le
souffle semble infini, tant il est profond et ample, le timbre est grave et
chaleureux et s’il sait être particulièrement sombre, il peut aussi s’éclaircir
et s’alléger. Des moyens si extraordinaires ne sont pas sans rappeler peut-être
un Friedrich Schorr. Matthias Görne se donne totalement à ces lieder et c’est
le corps entier qui participe à la projection de la voix, ce corps dont il use
comme d’un support puissant et qui lui permet aussi de mettre en scène certains
de ces lieder en prenant des attitudes et des poses contrastées. Ce fut un
grand récital.
L’accompagnement était confié à
Christophe Eschenbach, pianiste de renom qui a surtout développé ces dernières
années des activités de chef d’orchestre. On lui doit néanmoins et notamment au
disque l’accompagnement des lieder de Schumann enregistrés par Dietrich
Fischer-Dieskau, repris récemment dans le coffret anniversaire de Deutsche
Grammophon. Ce pianiste, longtemps un protégé de Karajan qui l’estimait
beaucoup, est assurément un accompagnateur de haute tenue. L’on sentait
néanmoins qu’il ne possédait plus les doigts de ses plus jeunes années et que
si, musicalement, la présence est réelle et qu’elle offre une magnifique
réponse aux engagements de Matthias Görne, il n’en est cependant pas à la
hauteur. Certaines irrégularités, certaines fatigues peut-être étaient
perceptibles ça et là. C’est là sans doute l’une des limites – rares – de
Matthias Görne dans ses récitals. A vouloir souvent changer d’accompagnateur à
la scène comme au disque – c’est avec Alfred Brendel qu’il avait enregistré ce
dernier cycle de Schubert – il perd une certaine symbiose avec le pianiste, si
nécessaire dans ce genre d’exercice.
C’est néanmoins surtout dans la
dernière sonate D960 que les limites de Christophe Eschenbach se sont montrées.
Le choix de cette dernière sonate pour compléter ce programme était
particulièrement judicieux, non pas seulement par la proximité de composition
des deux œuvres ou du fait qu’il s’agit de deux œuvres dernières, mais
également et peut être surtout par la nature très particulière de cette
dernière sonate de Schubert, la plus personnelle et la plus proche de ces lieder.
Las, Eschenbach semblait incapable de se sortir de la partition qu’il ne
quittait pas des yeux. L’interprétation n’était manifestement pas aboutie,
au-delà même des faiblesses déjà relevées et qui paraissaient d’autant plus
aisément qu’il n’y avait plus de partenaire qui puisse nous les masquer par un
suprême engagement. Sans doute était –ce trop pour ce pianiste que de présenter
les trois cycles et cette dernière sonate, qui semble n’avoir pas été
suffisamment préparée et répétée, le poids de la préparation des trois cycles
de lieder lui ayant sans doute laissé trop peu de place. Le public ne s’y est
d’ailleurs pas trompé, saluant la prestation d’Eschenbach par des
applaudissements courtois là où il avait réservé une véritable ovation à
Matthias Görne auparavant.
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