Wir geniessen die himmlischen Freunden
Lorsque vient à
Lucerne l’Orchestre royal du Concertgebouw d’Amsterdam dirigé par son nouveau
chef Daniele Gatti, une sorte de joie céleste se propage dans l’auditoire. La
sonorité de l’orchestre est incroyable et, si elle n’est jamais aussi belle que
dans sa salle amstellodamoise, l’écrin qui lui offre le KKL de Lucerne la met superbement
en valeur.
Haydn avait quitté le
Versailles hongrois du Prince Esterhazy pour Vienne alors que les compositeurs
viennois triomphaient à Paris. Marie-Antoinette, la fille de l’Impératrice
Marie-Thérèse d’Autriche, avait épousé l’héritier de la couronne française et
vivait sous les ors du premier Versailles. La Dauphine suivait, dans les années
1770, les cours du compositeur Christoph Wilibald Gluck et les pages de Haydn
triomphaient à Paris. Son Stabat Mater
lui valut notamment en 1781 de grands éloges ; trois ans plus tard, il
venait donner au Concert de la Loge Olympique ses symphonies 82 à 87, connues
depuis comme ses symphonies parisiennes. C’est alors que sont créées à Vienne Le Nozze di Figaro de Mozart, sur la
pièce de Beaumarchais, les arts se croisant entre Paris et Vienne.
L’ours
est la première des symphonies parisiennes ou plus exactement celle qui porte
le premier des six numéros dans la liste officielle des œuvres de Haydn car
l’ordre de composition n’est pas celui-ci, selon les cinq partitions dont les autographes subsistent encore. Ces pages acquirent rapidement
une grande renommée et le finale de la symphonie 82 se vit en 1788 repris dans
une pièce pour piano intitulée La danse
de l’ours. La symphonie toute entière reprit alors le sobriquet qui lui
reste aujourd’hui accolé au prétexte que le thème rugueux du finale ne pourrait
être dansé que par un ours. De caractère martial dans l’ensemble mais avec un premier
mouvement noté à 3/4 en contradiction avec le mètre usuel à la marche, elle
peut donner effectivement cette impression d’une danse de l’ours. Notons encore
que, dans l’Allegretto, la coda humoristique se retrouvera dans un mouvement
d’une symphonie de Friedrich Witt au finale fondé sur l’air révolutionnaire Ah ça ira. Les pas de l’ours ne
sont pas les seuls à être hésitants dans cette période prérévolutionnaire.
Ernest Ansermet avait
coutume de dire qu’il était agréable de commencer un programme par une
symphonie de Haydn, cela mettait tout le monde d’accord pour la suite. Il est
vrai qu’au niveau d’interprétation proposé par le chef et l’orchestre dans ces
premières pages de la soirée, nulle contestation ne pouvait surgir.
Kein weltlich’ Getümmel…
La symphonie de Haydn
préfaçait les tourments révolutionnaires qui allaient rapidement détruire un
monde pour offrir de nouvelles perspectives. Loin des tourments du monde tente
également de se tenir Gustav Mahler dans les années 1899-1900, lorsqu’il compose
sa Quatrième Symphonie. Durant les six étés précédents celui de 1899, Mahler
avait consacré les deux premiers à sa Deuxième Symphonie, puis deux suivants à
la Troisième. Devenu directeur de l’Opéra de Vienne, il s’était vu empêché de
consacrer, durant les deux derniers, son temps à la composition. En 1899, c’est
un retour au calme et à la création par une œuvre plus courte et plus légère
que les deux précédentes. Son Lied Revelge,
tiré toujours du recueil Des Knaben
Wunderhorn, servira de simple mise en route.
Lebt alles in sanftester Ruh’
Tout vit dans un
calme si doux. Cette symphonie de Mahler est la seule qui, de bout en bout,
respire le bonheur, le calme, la joie de vivre, qui pourtant est née dans une
période de mauvaise santé et d’angoisse concernant l’avenir de sa créativité. C’est de plus resté de son vivant la plus décriée, la moins comprise de ses
œuvres. Après les précédentes, les
musiciens et le public n’ont rien compris du style naïf considéré comme trop
humoristique et superficiel pour des gens déjà habitué à la dimension
titanesque du compositeur.
Dass alles für Freunden erwacht
Tout s’éveille aux
plaisirs. Bien que Mahler ait voulu renoncer dès ces pages à toute forme de
programme, ne voulant plus expliquer le sens de ses œuvres par des mots, il s’est néanmoins une dernière fois confié à leur sujet en
déclarant avoir essayé de peindre le bleu uniforme du ciel, bien plus difficile
à rendre que les teintes contrastées et changeantes de temps moins clairs. Ce
bleu est « l’humeur de base de l’ensemble. Pourtant, à plusieurs reprises,
elle s’assombrit et devient effrayante, fantomatique, sans que le ciel ne se
couvre. Il reste éternellement bleu, mais c’est lui-même qui nous fait
subitement peur : une terreur panique nous saisit, comme cela arrive parfois
au jour le plus beau, dans une forêt splendide et pleine de lumière »
(Henry-Louis de La Grange, Gustav Mahler, Fayard 1973, t. I, pp. 1055-1056).
L’Orchestre royal du
Concertgebouw est un habitué de très longue date des symphonies de Mahler, lui
qui a été dirigé par le compositeur dans la création de certaines de ses
œuvres. Tous les chefs qui se sont succédé à sa direction ont laissé des
interprétations de références de ces œuvres, souvent d’ailleurs des intégrales.
A Lucerne, c'est Bernard Haitink qui a dirigé cette symphonie pour la première fois, le 17 août 1966, avec Irmgard Seefried, comme pour sa dernière apparition au programme avant ce soir, presque cinquante ans plus tard, les 14 et 15 août 2015, avec cette fois Anna Lucia Richter. Daniele Gatti s’annonce comme l’un des plus intéressants mahlériens à venir à
la tête de cette phalange et la direction offerte ce soir, si elle inscrit
cette symphonie dans la suite de celle de Haydn et lui consacre donc un
caractère léger, heureux et bon vivant, n’en oublie pas pour autant la
dimension terrifiante que la profondeur du ciel peut laisser entrevoir derrière
la pâleur de ses bleus. Avec Chen Reis, le lied final était superbe, profond.
Elle nous aidait à tourner définitivement le dos au monde enchanté de l’enfance
pour aller, encore sereinement, regarder le drame de l’existence que
dépeindront les symphonies suivantes. Nous avions profité, un soir durant, des
joies célestes et ce n’est pas rien.
7 septembre 2017.
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