dimanche 19 avril 2015

KAZUKI YAMADA REVÊLE L’OSR DANS L’OISEAU DE FEU


C’est un concert dont l’affiche a connu de multiples changements que nous proposait le 10 juin 2010 l’OSR. Initialement prévu sous la direction de Bertrand De Billy avec La Mer de Debussy au programme, on nous annonça finalement L’oiseau de feu de Stravinsky, sous la direction d’un jeune chef colombien venant pour la première fois à Genève, Andrés Orozco-Estrada. La présentation de ce musicien dans le programme de la soirée était intéressante, lui qui disait considérer chaque note comme un défi. Nous nous réjouissions donc de le découvrir mais il se fit remplacer au pied levé et c’est à une autre découverte qu’il nous fut donné d’assister, sensationnelle pour dire vrai. Kazuki Yamada, né en 1979 au Japon, a déjà dirigé les plus importants orchestres archipélagiques. Il étudie avec succès à Salzbourg, haut lieu musical s’il en est, fonde son propre orchestre à vingt-deux ans et remporte l’an passé le Grand Prix du très prestigieux Concours international de jeunes chefs d’orchestre de Besançon, ainsi que le Prix du public. Entrant sur scène avec un je-ne-sais-quoi d’un Ozawa jeune, image sans doute facile pour un jeune chef japonais, il a obtenu ce soir à Genève aussi le prix du public après une prestation littéralement envoutante.
Ayant repris la baguette en dernière minute, il n’a pas modifié le programme annoncé et c’est donc la Symphonie espagnole pour violon et orchestre, opus 21 d’Edouard Lalo, avec Vadim Repin au violon qui ouvrait les feux. L’on sait à quel point cette œuvre, exactement contemporaine de Carmen de Bizet, souleva les critiques lors de sa création en janvier 1875 aux Concerts populaires de Paris. L’on y voyait en effet une musique plus romantique qu’espagnole et il est vrai que ce n’est pas cette authenticité là que recherchait le compositeur. Cette œuvre s’ouvre par un passage en trompe-l’œil, marqué Allegro non troppo dans lequel l’archet expressif de Vadim Repin souleva d’entrée les applaudissements du public. Dans le Scherzando, Allegro molto, l’entrée du soliste sur un rythme syncopé, sorte de séguedille, permet d’enchaîner avec l’Intermezzo, Allegretto, dont l’aspect très virtuose permit au soliste de briller de mille feux dans une interprétation brillante qui n’était pas exempte de quelques emportements. Le magnifique choral qui introduit l’Andante aux cordes graves et aux cuivres est de suite repris par le soliste et l’originalité des rythmes que Lalo lui confie donnait à Repin la possibilité de nous faire avancer de surprise en surprise sans se démarquer du caractère tranquillo du mouvement. Le finale de l’œuvre est sa partie la plus connue, un Rondo-Allegro dansant au violon de Pablo de Sarasate lors de la création et non moins ce soir à celui du virtuose sibérien particulièrement brillant ici encore dans son interprétation. Le jeune chef qui l’accompagnait pour la première fois nous montra avoir immédiatement su construire avec l’orchestre des relations de travail efficaces. Suivant la partition, il accompagna son soliste avec une forme d’humilité, face à un orchestre et un violoniste plus prestigieux que lui-même. S’il eut la délicatesse de laisser au soliste la possibilité de briller en premier, il prit une toute autre dimension après l’entracte.
C’est par le Prélude à l’après-midi d’un faune, de Claude Debussy qu’il revint au pupitre, avec l’assurance de ceux qui savent ce qu’ils veulent obtenir comme son du fait d’une interprétation réfléchie, mûrie sans doute déjà, la seule œuvre au programme de ce soir dirigée sans partition, celle avec laquelle le jeune chef partage visiblement certaines affinités. Debussy disait en 1908 : « On me qualifie de révolutionnaire, mais je n’ai rien inventé. J’ai tout au plus présenté des choses anciennes d’une nouvelle manière ». Il en allait sans doute de même ce soir, Kazuki Yamada nous présentant cette pièce au combien célèbre de nouvelle manière. Sans rechercher un impressionnisme facile mais jamais reconnu par Debussy, Yamada la commençait d’un geste de la main comme s’ouvre une fleur de lotus, avec infiniment de poésie. La flûte expose un premier sujet très bucolique, sur les commentaires des autres bois, des harpes et des cors, célèbre mélodie présentée dix fois, toujours dans un habillage harmonique différent. C’est la clarinette qui lance le développement avant que ne se déploie cette œuvre délicate donnée ce soir dans un très bel écrin, d’une grande simplicité, d’une grande douceur aussi, loin sans doute de l’interprétation de Nijinski le soir de la création par les Ballets russes en 1912. Ce Faune très sexuel aux postures extatiques sans équivoques avait fortement déplu à Debussy. Comme nous aurions aimé enchaîner sur la lecture du poème de Mallarmé pour prolonger la poésie orchestrale par la musicalisation du poème :
Inerte, tout brûle dans l’heure fauve
Sans marquer par quel art ensemble détala
Trop d’hymen souhaité de qui cherche le la :
Alors m’éveillerai-je à la ferveur première,
Droit et seul, sous un flot antique de lumière,
Lys ! et l’un de vous tous pour l’ingénuité…
Ce fut dans l’Oiseau de feu, Suite, dans la version de 1945, que le concert se termina en apothéose et que ce jeune chef nippon prit toute sa mesure. Le ballet de Stravinski, créé également par les Ballets russes en 1912, un an avant Le Sacre du printemps, avait déjà fait l’objet d’un tremblement de terre qui devait modifier la musique du XXème siècle. C’est un sujet très russe que le conte sur lequel Diaghilev demanda à Stravinski d’écrire la musique d’un prochain ballet. La création fut un succès qui dépassa toutes les espérances des protagonistes. Même Debussy, souvent critique envers les compositions d’autres auteurs aimait cette partition. Stravinski tira trois suites de son ballet, en 1911, 1919, créée à Genève par l’OSR sous la direction d’Ansermet, et 1945, donnée ce soir. Sans reprendre tout le matériau du ballet, cette suite en contient les épisodes essentiels : Introduction, L’oiseau de feu et sa danse, les Variations de l’Oiseau de feu, Pantomime I (l’Oiseau de feu et Ivan Tsarévitch), Pantomime II, Scherzo (danse des princesses), Pantomime III, Ronde (Khorovode), Danse infernale du roi Kastchei, Berceuse (l’Oiseau de feu), Finale. Maîtrisant manifestement cette partition dans les moindres détails, même s’il préféra garder la partition sous les yeux, Kazuki Yamada emporta l’orchestre dans une danse de feu d’une rare richesse. Tous les timbres de l’OSR sonnaient comme rarement et le chef parvint à susciter de nombreuses surprises par le choix de ses tempi, son sens de la dramaturgie propre de l’œuvre et l’engagement qu’il y mit, les prises de risques aussi dans une partition difficile abordée au pied levé avec un orchestre qu’il n’avait jamais dirigé, qui ont payé. Les moments intimes de l’œuvre, tels la berceuse étaient d’une grâce profonde, qui faisait place à une véritable danse infernale, brillante, rapide, tenue en chaque note et le Finale éclatait, révélant tous les moyens dont recèle l’OSR lorsqu’il est dirigé à ce niveau. Il y avait toutes les racines extrêmes orientales du conte traditionnel russe, recherchées aux confins des mondes japonais et russes. L’ovation finale du public était enthousiaste et nous avons là un chef qui a emballé l’orchestre comme le public comme rarement nous l’avons entendu. Ce jeune chef nippon a assurément l’Empire du Soleil devant.
Un successeur à Janowski ?
12 juin 2010

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