dimanche 19 avril 2015

UN SOIR DERRIERE LES GRILLES DES JARDINS D’ESPAGNE


Que l’affiche était belle de ce concert de fin de saison de l’OSR, confiant à la baguette espagnole de Rafael Frühbeck de Burgos et aux doigts latins de Nelson Freire ces Nuits dans les jardins d’Espagne de Manuel De Falla ! Ces nuits ne sont pas celles de Charles Quint dans les jardins du Couvent de Saint-Juste, davantage celles de Garcia Lorca, d’une Espagne alors moderne, qui compte quelques grands noms du surréalismes, Picasso, Dali, Miro ou Buñuel. C’est une œuvre dont l’OSR a donné deux enregistrements importants au disque, le premier avec le duo Ansermet-Casadesus et le second avec Commissiona-De Larrocha et qui n’a plus été à l’affiche depuis longtemps, depuis un soir de février 1996, où elle était confiée à Armin Jordan et Nelson Goerner. Et Falla fait partie du répertoire historique de l’Orchestre, au même titre que Ravel, Debussy ou Stravinsky. C’était sans compter une tendinite qui conduit actuellement Nelson Freire à annuler tous ses concerts. Le changement du soliste impliqua ce soir une modification du programme et l’on perdit les Nuits de De Falla en faveur du Concerto en sol majeur de Maurice Ravel, confié à Alexandre Tharaud, déjà entendu récemment en récital à Genève.    
Le reste du programme restait cependant inchangé, nous permettant de découvrir des pièces espagnoles d’Isaac Albeniz, bien connu mais peu joué, dans des transcriptions de Rafael Frühbeck de Burgos, les extraits de la Suite espagnole, composés de Castilla, Granada, Sevilla, Asturias et Aragón. Albeniz fut d’après Debussy le premier à avoir su tirer parti de la mélancolie ombreuse et de l’humour spécial de son pays. Elève de Dukas et D’Indy à la Schola Cantorum, Albeniz fut très lié à Manuel de Falla comme à Claude Debussy. C’est d’ailleurs à Paris, en 1907 et alors qu’il travaille au dernier des quatre recueils pour piano qui firent sa célébrité, Iberia, qu’il fit la connaissance de Falla. Debussy parlait alors de lui comme d’un génie qui jette la musique par les fenêtres. La Suite espagnole  été entreprise en 1886 comme un recueil pour piano et l’œuvre resta finalement inachevée à la mort du compositeur en 1909. C’est donc dans un arrangement du chef que l’on entendit ces morceaux, tous articulés sur des structures ternaires. C’est une Espagne typique que nous jouent l’OSR et son chef, de celle que l’on pourrait presque également entendre chez Bizet ou Chabrier. Ce tour d’Espagne est néanmoins savoureux dans cette orchestration pour très grands effectifs qui jouent pleinement de tous les timbres.
Le Concerto de Ravel qui vint ensuite commença par un Allegramente assez lent mais fait de très belles couleurs orchestrales et il était agréable de voir le chef à l’écoute de son soliste pour lui offrir un accompagnement qui n’a pas toujours été le point fort de l’OSR. L’Adagio assai commence par un piano laissé seul longtemps avant que l’Orchestre ne se joigne à lui et c’est là un mouvement sans doute un peu mozartien, l’un des plus beaux du répertoire. Le Presto finale est d’une difficulté rythmique redoutable dont se jouèrent le chef comme le pianiste. Frühbeck de Burgos étala une richesse rythmique qui fit déjà le succès de son dernier concert à l’OSR, il y a cinq ans, lors duquel il avait donné le Sacre du printemps. S’il existe incontestablement certaines froideurs, voire certaines raideurs dans le jeu de Tharaud, s’y trouve aussi et surtout une musicalité simple, sans affect, qui ne montre pas une virtuosité trop maîtrisée pour avoir besoin d’être dite. En bis le Tic-Toc choc habituel de Couperin, qui fait toujours plaisir, même si un choix ravélien, dont le pianiste a gravé il y a peu une intégrale de l’œuvre pour piano seul justement très remarquée, aurait été plus à sa place dans l’ensemble du programme.
Le chef a porté l’OSR dans la seconde partie comme rarement, dans des œuvres qui font partie du répertoire fondateur de l’Orchestre, souvent jouées et enregistrées dès les premières années et dont le disque garde encore la mémoire des gravures dirigées par Ansermet. Daphnis et Chloé était parfaitement maîtrisé et offrait dans toutes leurs beautés des timbres moirés dont il faut avant tout salué le basson remarquable avec les autres vents. L’Orchestre comme l’auditeur respire dans un geste ample, une partition qui roule naturellement, sans s’essouffler. Son Bolero final était assez sage, convenu en quelque sorte et l’on aurait peut-être aimé voir son geste souligner les mélodies successives des différents pupitres que de s’en tenir à guider le rythme obsessionnel de la caisse clair. Il n’en demeure pas moins que l’interprétation de cette œuvre toujours appréciée du public était remarquable, sans affectation et que l’Orchestre nous a présenté tous ses pupitres dans leur plus beaux atours, profitant de la liberté que leur offrait le chef pour nous offrir une palette de couleur d’une richesse incroyable faisant de cette œuvre bien plus qu’un succès facile. En soutenant une pulsion continue sur laquelle chacun pouvait s’appuyer sans risque, le chef a fait beaucoup et pleinement mérité l’ovation du public.
22 mai 2010

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.