Que l’affiche était belle de ce concert de fin de
saison de l’OSR, confiant à la baguette espagnole de Rafael Frühbeck de Burgos
et aux doigts latins de Nelson Freire ces Nuits
dans les jardins d’Espagne de Manuel De Falla ! Ces nuits ne sont pas
celles de Charles Quint dans les jardins du Couvent de Saint-Juste, davantage
celles de Garcia Lorca, d’une Espagne alors moderne, qui compte quelques grands
noms du surréalismes, Picasso, Dali, Miro ou Buñuel. C’est une œuvre dont l’OSR
a donné deux enregistrements importants au disque, le premier avec le duo
Ansermet-Casadesus et le second avec Commissiona-De Larrocha et qui n’a plus
été à l’affiche depuis longtemps, depuis un soir de février 1996, où elle était
confiée à Armin Jordan et Nelson Goerner. Et Falla fait partie du répertoire
historique de l’Orchestre, au même titre que Ravel, Debussy ou Stravinsky. C’était
sans compter une tendinite qui conduit actuellement Nelson Freire à annuler
tous ses concerts. Le changement du soliste impliqua ce soir une modification
du programme et l’on perdit les Nuits
de De Falla en faveur du Concerto en sol
majeur de Maurice Ravel, confié à Alexandre Tharaud, déjà entendu récemment
en récital à Genève.
Le reste du programme restait cependant inchangé, nous
permettant de découvrir des pièces espagnoles d’Isaac Albeniz, bien connu mais
peu joué, dans des transcriptions de Rafael Frühbeck de Burgos, les extraits de
la Suite espagnole, composés de Castilla, Granada, Sevilla, Asturias et Aragón. Albeniz fut d’après Debussy le
premier à avoir su tirer parti de la mélancolie ombreuse et de l’humour spécial
de son pays. Elève de Dukas et D’Indy à la Schola
Cantorum, Albeniz fut très lié à Manuel de Falla comme à Claude Debussy. C’est
d’ailleurs à Paris, en 1907 et alors qu’il travaille au dernier des quatre
recueils pour piano qui firent sa célébrité, Iberia, qu’il fit la connaissance de Falla. Debussy parlait alors
de lui comme d’un génie qui jette la musique par les fenêtres. La Suite espagnole été entreprise en 1886 comme un recueil pour
piano et l’œuvre resta finalement inachevée à la mort du compositeur en 1909.
C’est donc dans un arrangement du chef que l’on entendit ces morceaux, tous
articulés sur des structures ternaires. C’est une Espagne typique que nous
jouent l’OSR et son chef, de celle que l’on pourrait presque également entendre
chez Bizet ou Chabrier. Ce tour d’Espagne est néanmoins savoureux dans cette
orchestration pour très grands effectifs qui jouent pleinement de tous les timbres.
Le Concerto
de Ravel qui vint ensuite commença par un Allegramente
assez lent mais fait de très belles couleurs orchestrales et il était agréable
de voir le chef à l’écoute de son soliste pour lui offrir un accompagnement qui
n’a pas toujours été le point fort de l’OSR. L’Adagio assai commence par un piano laissé seul longtemps avant que
l’Orchestre ne se joigne à lui et c’est là un mouvement sans doute un peu
mozartien, l’un des plus beaux du répertoire. Le Presto finale est d’une difficulté rythmique redoutable dont se
jouèrent le chef comme le pianiste. Frühbeck de Burgos étala une richesse
rythmique qui fit déjà le succès de son dernier concert à l’OSR, il y a cinq
ans, lors duquel il avait donné le Sacre
du printemps. S’il existe incontestablement certaines froideurs, voire certaines
raideurs dans le jeu de Tharaud, s’y trouve aussi et surtout une musicalité
simple, sans affect, qui ne montre pas une virtuosité trop maîtrisée pour avoir
besoin d’être dite. En bis le Tic-Toc
choc habituel de Couperin, qui fait toujours plaisir, même si un choix
ravélien, dont le pianiste a gravé il y a peu une intégrale de l’œuvre pour
piano seul justement très remarquée, aurait été plus à sa place dans l’ensemble
du programme.
Le chef a porté l’OSR dans la seconde partie comme
rarement, dans des œuvres qui font partie du répertoire fondateur de
l’Orchestre, souvent jouées et enregistrées dès les premières années et dont le
disque garde encore la mémoire des gravures dirigées par Ansermet. Daphnis et Chloé était parfaitement
maîtrisé et offrait dans toutes leurs beautés des timbres moirés dont il faut
avant tout salué le basson remarquable avec les autres vents. L’Orchestre comme
l’auditeur respire dans un geste ample, une partition qui roule naturellement,
sans s’essouffler. Son Bolero final
était assez sage, convenu en quelque sorte et l’on aurait peut-être aimé voir
son geste souligner les mélodies successives des différents pupitres que de
s’en tenir à guider le rythme obsessionnel de la caisse clair. Il n’en demeure
pas moins que l’interprétation de cette œuvre toujours appréciée du public
était remarquable, sans affectation et que l’Orchestre nous a présenté tous ses
pupitres dans leur plus beaux atours, profitant de la liberté que leur offrait
le chef pour nous offrir une palette de couleur d’une richesse incroyable
faisant de cette œuvre bien plus qu’un succès facile. En soutenant une pulsion
continue sur laquelle chacun pouvait s’appuyer sans risque, le chef a fait
beaucoup et pleinement mérité l’ovation du public.
22 mai 2010
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.