Pour deux soirs et dans chacune des
deux principales séries d’abonnement de l’OSR, les 7 et 9 décembre 2011, la
baguette était à Neeme Järvi, nouveau directeur artistique de l’Orchestre, qui
prendra pleinement ses fonctions en y ajoutant celles de directeur musical en
septembre 2012. Le programme était composé de l’Ouverture de concert en fa majeur, opus 123, de Joachim Raff, du Concerto pour violon et orchestre N°2 en sol
mineur, opus 63, de Sergei Prokofiev, et de la Symphonie N°6 en si mineur opus 74, dite Pathétique, de Piotr Ilyitch Tchaïkovski.
Les œuvres de Joachim Raff
(1822-1882) sont largement méconnues et n’ont pas eu le succès posthume que Liszt
leur envisageait, lorsqu’il écrivait : « S’il est vrai que les œuvres d’art vivent grâce à leur style, alors la
musique de Raff devrait durer ». Raff, dont le nom est gravé sur la
façade du Victoria Hall fait partie, pour le plus grand nombre, de ces inconnus
qui furent un temps célébrés, mais dont l’œuvre n’a finalement que peu survécu
à leur temps. Pourtant, la musique de ce Schwytzois qui fut l’élève de Liszt et
qui travailla pour Mendelssohn, n’est pas dépourvue de qualités. C’est encore
Liszt qui en parle le mieux : « Son
style est compact, réfléchi et plein de
trouvailles harmoniques, dont l’audace est presque toujours basée sur des
règles. L’originalité de Raff tient à la façon dont il combine et assimile les
éléments qu’il emploie. Son style mérite une place particulière parmi ses pairs
et son individualité attire l’attention. Il s’est façonné un style parfaitement
adapté aux particularités de son talent et de son caractère spécifique ».
L’Ouverture de ce soir renferme toutes les qualités et tous les
défauts de Raff. Si l’inspiration est là et l’orchestration parfaitement
maîtrisée, la profusion d’idées mélodiques qu’une page aussi ramassée interdit
de développer donne l’impression de bribes tronquées. Parfaite comme ouverture
de concert, agréable à l’oreille, il n’y a pas là de quoi sans doute raviver
durablement le souvenir de Raff.
Sergei Prokofiev est d’une toute
autre trempe, d’une toute autre époque aussi. Parlant de son second Concerto pour violon et orchestre, il
remarquait, dans un entretien aux Izvestia,
du 16 novembre 1934 : « Je
qualifierai la musique dont on a besoin ici de ‘légèrement sérieuse’ ou de
‘sérieusement légère’ ; il n’est guère facile de trouver le langage qui
convienne. Avant tout, elle doit être très mélodique, d’une mélodie simple et
compréhensible qui ne doit ni se répéter ni être empreinte de trivialité ».
De coupe classique, cette œuvre
bouleverse pourtant constamment les attentes, pour terminer sur un Allegro ben marcato franchement mais
joyeusement dissonant. Le jeu enlevé de Vadim Repin correspondait parfaitement
à cet interstice qui peut exister entre une musique sérieusement légère ou
légèrement sérieuse sous un archet toujours précis. Une écoute partagée avec
l’orchestre et une direction efficace ont donné de ce concerto une parfaite
interprétation.
Après l’entracte, le morceau de
bravoure était celui de la dernière symphonie de Tchaïkovski. Icône de l’époque
tsariste dont le régime communiste avait lissé l’image afin qu’elle pût
convenir au communisme triomphant. On ne trouve plus aujourd’hui de programme
qui ne fasse mention de l’homosexualité du compositeur, longtemps passée sous
silence, alimentant tous les fantasmes autour de sa mort, soi-disant suicide
pour se préserver du scandale d’une relation rendue publique avec un jeune
homme. Peu importe, la musique de Tchaïkovski n’en est pas plus ou moins belle
pour autant et cette dernière œuvre orchestrale du compositeur peut dignement
figurer au panthéon des grandes symphonies romantiques, lui-même n’hésitant pas
à la considérer comme la meilleure des œuvres qu’il eût écrites.
Symphonie à programme secret, elle
reprend pour entame le début de la Sonate
Pathétique de Beethoven, dès les premières mesures de l’introduction,
marquées Adagio. L’immense mouvement
initial, aussi long que les deux suivants réunis, est en soi tout un poème
symphonique. Le deuxième mouvement, une valse à cinq temps marquée Allegro con grazia a un caractère léger
qui pourrait cependant, du fait du thème du destin qu’il développe, rejoindre
un peu du sérieux évoqué par Prokofiev. Le Scherzo
qui suit a quelque chose d’inquiétant, au point que le chef en perdit un
instant sa baguette qui alla virevolter entre les deux pupitres de premiers
violons. Innovation de forme quasi sans précédent à l’époque, la symphonie se
termine sur un Adagio lamentoso riche
et inspiré.
Avec un orchestre en place qui a
parfaitement su maîtriser toute la profondeur de cette partition, Neeme Järvi
avait de quoi nous donner une belle soirée. Le Chef letton est en effet
manifestement chez lui dans la musique russe, de Prokofiev comme de
Tchaïkovski. Jouant des couleurs de l’orchestre, il le tient, ne laissant pas
les cuivres notamment nous assourdir dans une œuvre où ils sont très
sollicités. Basé sur un travail de fond réalisé par Janowski dont peut-être
est-ce là l’essentiel de l’apport d’un cycle Bruckner par ailleurs
inévitablement décevant, l’appropriation de la pâte symphonique par l’OSR est
remarquable.
11 décembre 2011
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