Les deux concerts donnés à
Salzbourg cette année par le Cleveland
Orchestra sous la baguette de son chef Franz Welser-Möst présentaient deux
programmes offrant un tout cohérent, à comprendre donc dans leur globalité,
autour de cette thématique politique énoncée en titre par le programme de ces
deux soirs. Le premier soir offrait ainsi le Concerto pour orchestre de Witold Lutoslawski, avant les quatre
premiers poèmes symphoniques de Má vlast
(ma patrie) de Bedrich Smetana, soit successivement Vyšehrad, Vltava (la Moldau), Šárka et Z českých luhů a hájů (Par les
prés et les bois de Bohème). Le second programme s’ouvrait sur les deux
derniers poèmes de Má vlast, Tábor et Blaník, avant le Concerto
pour piano et orchestre de Witold Lutoslawski, sous les doigts de son
dédicataire, Krystian Zimerman, et la Sixième
Symphonie, op. 54, de Dimitri Chostakovitch. Comme souvent, Krystian
Zimerman avait annulé ses récitals, annonçant dans un premier temps qu’il
maintenait sa présence pour ce concerto. Il n’en fut finalement rien et le
programme dut en conséquence être modifié pour palier cette nouvelle absence en
faveur de Chute d'Étoiles. Hommage à
Anselm Kiefer, pour deux trompettes et orchestre, de Matthias Pintscher,
dont l’orchestre et son chef avaient assuré la création mondiale quelques jours
plus tôt à Lucerne.
Effectivement, l’on peut
considérer qu’il y a dans les diverses pièces annoncées initialement, certaines
connotations politiques, de l’affirmation de la culture et du nationalisme
tchèque par Smetana à la dénonciation de la barbarie stalinienne par
Chostakovitch, en passant par les œuvres de Lutoslawski, qui s’inscrivent dans
l’évolution du mouvement Solidarités en Pologne et précèdent de peu, pour le Concerto pour piano, la chute du mur de
Berlin. Néanmoins, il y a bien plus que cela dans les œuvres présentées et l’on
ne saurait les limiter à un message politique nécessairement daté, sinon même
aujourd’hui dépassé, alors que toutes ces pièces portent des qualités musicales
qui vont bien au-delà et justifient leur présence au répertoire en dehors même
de toute dimension politique. En toute hypothèse, la modification du programme
induite par l’absence du soliste modifiait la donne et rendait le titre retenu
en partie du moins obsolète. Gardons-le néanmoins, car il est symptomatique de
critiques et de programmateurs qui peinent parfois, surtout lorsque l’on joue
Chostakovitch, à dépasser le cadre politique et à penser l’œuvre en tant que
telle.
Les deux poèmes symphoniques
ouvraient donc le concert sur une affirmation de l’identité nationale tchèque. Tabor est en effet le nom de la ville
médiévale de Bohème dans laquelle le mouvement national, religieux et social
des Hussites prit naissance. Pages sombres, tragiques sur un choral hussite
martial : Vous qui êtes des soldats
de votre Dieu. Blanik est le nom
d’une colline du sud de la Bohème où, selon la légende, reposeraient les héros
hussites, qui devraient ressurgir au plus fort de la détresse du peuple
tchèque, pages simples et raffinées qui referment le cycle par où il avait
commencé la veille, sur le motif de Vyserad.
La virtuosité de l’orchestre et l’approche très classique du chef permit à ces
deux pièces d’ouvrir parfaitement le concert.
Que dire de la création de
l’œuvre de Matthias Pintscher, reprise au pied levé, sans aucun élément de
présentation ni de préparation, sinon ce qu’elle porte en son titre, à savoir
le rôle soliste des deux trompettes ? Créée à Lucerne le 25 août 2012, le
programme l’y présentait en ces termes : « ‘Chute d’étoiles’ est le titre d’une œuvre que l’artiste allemand Anselm
Kiefer a exposée en 2007 à la ‘Monumenta’ de Paris. Sept maisons et trois
sculptures y symbolisaient l’unité divine de l’homme avec le cosmos: ‘Nous
sommes faits d’éléments du cosmos. Nous portons en nous l’infiniment grand
comme l’infiniment petit’. La nouvelle pièce de Matthias Pintscher, une
commande de Roche créée au LUCERNE
FESTIVAL, porte le même titre; rien d’étonnant puisqu’il s’agit d’un Hommage à
Anselm Kiefer ». Il est vrai que la personnalité de Kiefer, qui
s’était fait connaître en se faisant photographier dans diverses villes
d’Europe faisant le salut nazi, affirmant ainsi une volonté de réveiller les
conscience face à un sujet occulté qu’il estimait néanmoins encore d’actualité,
porte en cela une dimension politique. Elle n’est évidemment pas que cela et
c’est surtout par des œuvres saturées de matière qu’il est connu. Ces matières
assemblées évoquant toutefois les destructions de la seconde guerre mondiale,
la dimension politique demeure. Dans l’œuvre de Pintscher, les trompettes
jouent des registres extrêmes, souvent avec sourdines, elles se succèdent, se
parlent et échangent leur musicalité, devant un orchestre fourni. Belle
réussite très applaudie.
La Sixième Symphonie de Chostakovith enfin, terminait ce programme sur
une note particulière. Composée en 1939,
créée à Leningrad par Mravinski, elle est une de mes préférées du compositeur.
Œuvre à la structure bizarre, en trois mouvements, un long mouvement lent
initial, Largo, précédant deux brefs
mouvements rapides, Allegro et Presto, elle semble particulièrement
déséquilibrée, un torse sans tête selon les mots de Bernstein. Triptyque bancal
composé de trois volets apparemment sans lien entre eux, elle est souvent perçue
comme le reflet de l’esprit conflictuel de l’époque de sa composition. Il y a
toutefois dans la vision de cette œuvre par Bernstein infiniment plus d’intérêt
que dans un simple rappel politique de circonstances historiques, aussi
prégnantes pussent-elles avoir été pour le compositeur au travail. Bernstein la
comprenait comme la suite de la Sixième
Symphonie de Tchaïkovski. En effet, la Pathétique
se termine sur un mouvement lent, de manière inusuelle, dans une tonalité de si
mineur, laissant l’impression qu’il manque quelque chose à venir. La Sixième de Chostakovitch commence par un
mouvement lent, plus inhabituel encore, en cette même tonalité de si mineur,
comme s’il manquait quelque chose avant, comme si elle commençait in medias res. Bernstein en soulignait
les contrastes internes au détriment d’une cohésion d’ensemble, donnant une
ampleur particulière au premier mouvement, d’un calme engourdi, prenant
également le dernier mouvement plus lentement que d’autres, lui injectant une
sorte de veine corrosive, poussant au-delà du politique. Il n’y avait sans
doute pas tant de recherches dans l’interprétation de ce soir. Franz
Welser-Möst prend un parti plus classique, gomme les aspérités, cherche la
musicalité et la trouve, avec un orchestre qui reste d’une grande virtuosité.
Dépouillant ainsi la partition de ses oripeaux, il en fait de belles pages symphoniques
auxquelles il manque néanmoins quelque chose, une expérience vécue, une vision,
un projet. L’interprétation nous plait sans nous interroger, nous laissant dans
un confort étranger à l’œuvre dont tout connaisseur éprouve les limites au
point de se demander si le chef n’a finalement pas trouvé là ce conformisme
petit-bourgeois que la censure inique de Jdanov reprochait au compositeur
depuis Lady McBeth…
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