La saison 2009-2010 de notre Maison d’opéra s’ouvre
sous un jour nouveau en ce 7 septembre 2009, date de la répétition générale de
l’antépénultième opéra de Giuseppe Verdi, Simon
Boccanegra, et sous un règne nouveau. Après le règne contesté de Jean-Marie
Blanchard, il fallait une nouvelle tête à l’opéra. C’est Tobias Richter qui a
été nommé et dont c’est la première saison. Bien sûr, vu le temps qu’il faut
pour mettre en place une saison – 4 à 5 ans le plus souvent – la plupart des
choix artistiques sont encore ceux de l’ancienne équipe, programmation en
quelque sorte transitoire, à quatre mains. Il y a toutefois d’ores et déjà des
marques qui ne trompent pas. Le choix d’une ligne graphique rompant radicalement
avec celle des huit dernières années est particulièrement bienvenu. Là où
l’équipe précédente nous avait mené de l’horrible au hideux – ce qui n’est
jamais qu’un point de vue, plus contestable que partout ailleurs lorsque l’on
parle d’esthétique, la nouvelle nous propose une ligne plus classique de prime
abord, déclinée autour de la silhouette stylisée du bâtiment de la Place
Neuve. Les affiches, les programmes ont fait heureusement peau neuve est c’est
déjà le premier signe de certains choix esthétiques qui nous semblent heureux.
La saison qui s’annonce est
belle, avec, dans l’ordre, L’Etoile
de Chabrier, rarissime sur scène, qui nous permettra de faire connaissance avec
le Roi Ouf 1er, dans l’incarnation attendue qu’en proposera
Jean-Paul Fouchécourt. Puis Don Giovanni
de Mozart, par Marthe Keller, avant ce que je considère comme le point d’orgue
attendu, la Lulu de Berg par Olivier
Py, avec le rôle titre confié à Patricia Petitbon. Nous aurons ensuite la
reprise de Parsifal, dernier opus
wagnérien, qui n’avait pas marqué les esprits dans la mise en scène proposée
mais dans le rôle titre duquel nous découvrirons la voix héroïque et claire de
Klaus Florian Vogt, puis La Calisto
de Cavalli, La Dona del Lago de
Rossini et Alice in Wonderland de Unsuk
Chin, compositeur né en 1961 dont l’œuvre est présentée ici en première suisse.
Commencer une saison par Simon Boccanegra est un risque. C’est là
sans doute l’opéra le plus noir de Verdi, qui met en scène les luttent qui
déstabilisent Gênes à la fin du XIVème siècle et de loin pas le plus
populaire. C’est néanmoins l’un des plus beaux musicalement et des plus
intéressants dans le traitement proposé des voix, autour de quatre rôles
masculins grave, un ténor et une soprano. L’action est confuse, sinon même
incompréhensible tant les liens de familles viennent troubler les liens
politiques, présentés par Verdi et son librettiste Boïto comme d’habitude dans
une optique contemporaine de la situation politique italienne à la fin du XIXème
siècle. Le programme du Grand Théâtre propose un résumé en quelque lignes de
l’action et c’est déjà un tour de force pour distinguer la place de chacun
autour de Simon Boccanegra, corsaire élu Doge de Gênes qui se révèle un homme
politique rassembleur (donc idéal à présenter dans la situation politique
contemporaine de Verdi). Sa fille, qu’il croyait perdue, s’avère en fait être
Amélia Grimaldi, orpheline recueillie, qui se trouve être la petite-fille de
Jacopo Fiesco, ennemi irréductible de Simon… Evidemment, Amelia est amoureuse
de Gabriele Adorno, jeune noble qui l’aime tout autant et qui est jaloux de
l’amour qu’elle porte à Simon au point de vouloir l’assassiner, prenant le père
pour un rival. Ajoutez à cela la lutte des plébéiens menés par Paolo Albiani
avec les patriciens, les complots des Guelfes, les émeutes de la foule et vous
aurez une action embrouillée se déroulant sur plus de vingt-cinq ans et dont
des pans entiers ne sont que sous-entendus.
Ne cherchons donc pas à
comprendre l’action, notons simplement que, comme souvent chez Verdi, l’amour
est utilisé pour exciter les passions humaines et noircir davantage encore un
drame, qui se terminera pour une fois en quelque sorte heureusement : par
la mort de Simon certes, mais sur la réconciliation avec Fiesco et la transmission
du pouvoir au nouvel époux de sa fille, Gabriele Adorno. Sans doute nous
présente-t-on le règne de Simon comme ayant été pacificateur et unificateur, il
n’en demeure pas moins qu’il se termine par l’assassinat du Doge par le chef
des plébéiens emmené au supplice pour y être décapité à la hache. La paix
parfois a des relents de violence…
Le chef qui dirige cette
production est un habitué de Genève, où il est venu régulièrement depuis la
saison 2001-2002 et c’est un des meilleurs chefs du moment pour ce répertoire
là. Tout le reste de l’équipe fait sa première apparition à Genève et c’est
aussi sans doute un signe de passation de pouvoir. Evelino Pidò nous a ainsi
donné à entendre une fort belle partition, sombre comme il le fallait, avec un
orchestre pas encore totalement en place, dont les pupitres de flûtes surtout
étalaient faussetés en tout genre et décalages importants. Il manquait
toutefois à cette direction de quoi enflammer les émeutes et les soulèvements,
de quoi rendre les haines palpables, de quoi peindre les tensions et la
noirceur des âmes. Ce manque est d’autant plus flagrant au regard de la mise en
scène de José Luis Gómez et des décors de Carl Fillion. Le décor est un gros
cube aux faces intérieures en miroirs, ce qui permet de jolis effets de reflets
et de moires diverses, toutefois un peu court pour ce qu’on aurait pu
réellement en tirer. Les costumes sont sans âge, sans époque, comme si l’on
refusait tout à la fois la nature historique de la pièce et le risque d’une
modernisation de l’action à telle ou telle époque. Les patriciens étaient
habillés comme des académiciens, sans le bicorne qui eût été ridicule mais
aussi sans l’épée qui elle eût été indispensable en de tels temps. Les lumières
d’Albert Faura sont sans magie, juste des coups de projecteurs mal placés. Cette
mise en scène n’a aucun projet, ni celui de nous restituer l’œuvre dans son
écrin historique, ni celui de nous transmettre son message politique. La
direction d’acteur n’existe pas, les chanteurs étant le plus souvent figés,
calmes, positionnés les uns par rapport aux autres comme dans un dîner de bonne
famille alors qu’ils se haïssent tous férocement et ne laissent pas une minute
sans chercher à s’assassiner mutuellement. Simon n’apparaît pas ici porté au
pouvoir par le peuple mais par un groupe de séditieux peu nombreux et les
émeutes et autres mouvements de foules ne sont jamais esquissés sinon par
quelques figurants courant en tous sens à l’arrière scène et provoquant les
rires du public. C’est dire à quel point l’effet scénique est manqué ! J’aurais
aimé plus de passions, plus de tempérament, plus de haine, plus d’amour aussi
dans tout ça. Limité à son aspect scénique, ce Simon Boccanegra est assez ennuyeux. Tuez-le et qu’on en
finisse !
Sur le plan vocal heureusement, les
différents rôles justifiaient à eux seuls le déplacement. Le Simon de Roberto
Frontali est beau et c’est un habitué des rôles de baryton verdiens (dans Don Carlo, Falstaff, Ernani, Il Trovatore, Simon Boccanegra, Un bal
masqué, Luisa Miller, Attila, Les vêpres siciliennes ou Rigoletto).
Il manque toutefois de charisme et son Simon ne semble pas avoir la force
politique requise pour avoir régné effectivement. Les défauts de la mise en
scène y sont certainement pour beaucoup, qui ne l’a jamais réellement sollicité.
Jacopo Fiesco est incarné par la basse florentine Giacomo Prestia avec un très
beau timbre et beaucoup de puissance. Il est le vrai rival de Simon, le seul
qui fût à craindre hier soir. Lui aussi habitué des rôles de Verdi, il semblait
toutefois – mais nous étions en répétition générale et ceci explique peut-être
cela – avoir du mal à trouver un phrasé qui restitue les beautés de la mélodie.
Maria Boccanegra ou Amélia Grimaldi était chantée par la soprano bulgare
Krassimira Stoyanova avec beaucoup de charme, de présente et d’autorité. C’est
la grande école du chant bulgare dans toute sa splendeur qui nous donne une
Maria ou Amélia digne fille de son père, vraie force politique et de
rassemblement qui en éclipse tous les autres. C’est elle qui se sort le mieux
de la mise en scène par son tempérament naturel. Roberto De Biasio chantait un
Gabriele Adorno engagé, amoureux et passant habilement d’un extrême à l’autre,
de la haine à l’amour, du dessein de meurtre à la piété filiale. C’est son
personnage qui perd le plus dans l’action confuse du livret de Piave et Boïto
et dont les excès peuvent facilement passer pour la plus grande inconstance vu
les pans entiers de l’action qui manquent au livret. Son aigu est brillant et
il sait être un vrai ténor verdien, l’émission est toutefois encombrée dans le
médium aux sons gonflés qui ne permet malheureusement pas qu’on l’aime
davantage dans ce rôle. Paolo Albiani était chanté par le Baryton Franco
Pomponi, assez faible, manquant de profondeur, rien d’autre qu’un second
couteau dans les luttes de pouvoir génoises comme dans la distribution. Sa
dernière apparition en route vers son exécution est trop larmoyante pour
attirer une quelconque sympathie à ce personnage constamment traître et lâche,
qui aura tout raté et dont la présence à l’action n’est pas des plus pertinentes.
On aurait pu lui donner davantage de rôle en illustrant les révoltes populaires
avec plus d’ampleur et d’à propos que les courses ridicules de quelque populace
dégingandée en arrière-scène.
8 septembre 2009
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