Alors que le
bicentenaire verdien touchait son apogée dans la représentation de Don Carlo, comment ne pas programmer
également cette Missa da requiem d’un
compositeur qui sortait de son terrain scénique de prédilection pour apporter à
l’art du requiem une œuvre emblématique. Si la présence au programme du
Festival de Salzbourg des opéras de Verdi a souvent suscité des tensions, celle
du Requiem y est bien plus régulière. C’est en dirigeant cette œuvre que
Karajan réalisait son premier enregistrement depuis Salzbourg, le 14 août 1949,
avec à l’affiche le même orchestre des Wiener Philarmoniker et pour chanteurs
Hilde Zadek, Margarete Klose, Helge Rosvaenge et Boris Christoff. Comme il
fallait faire dans l’exceptionnel en ces temps de jubilé, l’on rassemblait pour
trois concerts, du 15 au 18 août 2013, la baguette de Riccardo Muti, le soprano
de Krassimira Stoyanova, le mezzo d’Elina Garanca, le ténor Piotr Beczala et la
basse Dmitry Belosselskiy.
Voici donc l’un des
requiem les plus célèbres de l’histoire, venant d’un musicien farouchement
anticlérical. L’éventualité pour Verdi de composer un requiem remonte à l’année
1865, alors qu’une épidémie de choléra envahissait l’Italie ; quatre ans
plus tard vint une messe pour Rossini, puis la conception de la scène finale d’Aïda, que Verdi décrivit comme un
requiem et un De profundis égyptien,
chanté par Amneris sur la tombe de Radamès. C’est en 1873 que Verdi se résolut
enfin à la composition de cette Missa da
Requiem, Manzoni mort et Mariani à l’agonie, consacrant le temps de la
composition à mettre en place également la distribution de la création. Il est
vrai que cette œuvre qui dure, comme Verdi l’observait, presque autant que la Norma de Bellini, qui rassemble deux
cents musiciens et choristes, recèle plus de difficultés qu’un opéra. L’on
critiqua d’ailleurs, à la création, un côté trop théâtral et Hans von Bülow (gendre
de Liszt, avant de céder sa place et sa femme à Wagner) écrivit à l’Allgemeine Zeitung que Verdi avait
composé l’œuvre afin de balayer les derniers débris de l’immortalité de
Rossini, qui l’embarrassaient, que ce n’était là qu’un mélodrame en habits
ecclésiastiques. Le succès populaire fut néanmoins énorme et perdure
aujourd’hui. Très vite également ce fut un succès économique, dont témoigne
cette lettre de Munzio à Verdi, écrite de New York le 18 novembre 1874 :
« Hier nous avons exécuté la Messe
et ce fut vraiment un beau succès. Sans modestie, j’aurais dit un grand succès.
Les prêtres vendent le Requiem dans deux églises, et nous ne pouvons nous y
opposer, car il n’existe pas de convention de droits d’auteurs avec l’Italie.
L’archevêque de New York veut qu’on l’exécute à la cathédrale. S’il paye, on le
fera ». Une messe de requiem qui peut donc trouver sans désordre sa
place au jubé, moins chœur liturgique que tourné vers la nef des auditeurs,
fidèles ou non.
Muti connaît son Requiem depuis longtemps, comme tous ses
Verdi d’ailleurs, et ce n’est pas la première fois qu’il vient le donner à
Salzbourg, où il dirige cette année également Nabucco. Sur la scène du Grosses
Festspielhaus en ce matin du 18 août 2013, la veille d’y découvrir la
fameuse production de Don Carlo, il y
avait tout d’une grande représentation. Le port altier d’un chef immense, qui
montre un certain orgueil à présenter une chevelure de jais à un âge où le
blanc se masque encore par coquetterie mais garde le geste sûr, au sommet de
son art, certain d’un succès qu’il sait sans doute acquis mais qu’il va
chercher néanmoins dans une interprétation sans concession. Dans une œuvre où
il est facile de faire de l’effet, la lecture de Muti ne laisse rien au hasard
et mesure chaque note, chaque son. Dans une entente parfaite avec l’Orchestre
qui sent le long travail en commun, il ombre le repos éternel des âmes qu’un Dies Irae violent ne viendra durablement
troubler. Sans jamais tomber dans l’excès de théâtralité, Muti met en avant les
jeux de clair-obscur dont est pleine la partition.
Affichant un
quatuor de solistes au meilleur des distributions qu’il est possible de
rassembler aujourd’hui, ce requiem était en plus parfaitement chanté et les
chœurs étaient magnifiquement préparés. Elina Garanca, au timbre plein de
couleurs était particulièrement touchante dans les premières mesures du Lacrimosa. Le Libera me de Krassimira Stoyanova ne devrait laisser aucune âme
contrainte et quel Offertorium !
Ensemble, les deux femmes faisaient courir des frissons dans le Rex tremendae. La voix de stentor de
Dmitry Belosselskiy donnait des profondeurs sépulcrales au Tuba mirum et au Confutatis.
Ténor très en vue, Piotr Beczala offrait un timbre magnifique mais forçait
parfois un peu sa voix, cherchant l’opéra là où Muti ne le voulait pas. Quel
protecteur invoquerai-je, quand le juste sera lui-même dans l’inquiétude, sinon
ces cordes de l’orchestre ouvrant à la lumière éternelle (Lux aeterna).
19 août 2013.
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