Genève a décidé de
marquer le bicentenaire de la naissance de Richard Wagner par un Festival
courant du 26 septembre au 5 novembre 2013 et offrant une richesse d’approche montrant
parfaitement l’importance du compositeur, qui a marqué toutes les formes d’art.
Le détail du programme nous a semblé cependant assez peu intéressant pour que
nous le suivions pas à pas. Monter la version de Paris de 1841 du Vaisseau fantôme avec un orchestre
rassemblé pour l’occasion sous la dénomination ad hoc d’Orchestre du Wagner
Geneva Festival manquait singulièrement d’envergure pour marquer dignement un
tel anniversaire, même si la critique en a été globalement excellente
(voir : http://tempsreel.nouvelobs.com/culture/20131101.OBS3633/festival-wagner-un-vaisseau-fantome-au-romantisme-echevele.html).
Si nous avons négligé ce programme, nous avons par ailleurs clairement tourné le
dos à la soirée consacrée au procès de Wagner, dans lequel son antisémitisme
lui aurait été reproché et pour lequel il se serait défendu, où la parole pro et contra était offerte à Me Marc
Bonnant et à Bernard-Henri Lévy. Mettre ainsi face-à-face la suffisance et la
vacuité sur un thème volontairement choisi pour être polémique nous aurait
davantage appris sur la médiocrité ambiante que sur l’art du Maître de
Bayreuth. Inutile.
Seul concert à
sortir à nos yeux du lot par ses promesses d’un regard nouveau et l’idée
d’aller y apprendre quelque chose, celui donné par l’Ensemble Intercontemporain
sous la direction de Matthias Pintscher au Bâtiment des Forces Motrices (BFM),
ce 1er novembre 2013. Au programme, la Siegfried-Idyll pour petit orchestre, douce sérénade composée à
Tribschen, sur les bords du Lac des Quatre-Cantons, et donné en aubade à Cosima
le 25 décembre 1870, comme cadeau d’anniversaire et en présence de Nietzsche,
alors encore un ami de la famille. D’une grande délicatesse, la direction de
Pintscher révèle dans cette courte pièce la tendresse d’un homme qui s’apprête,
avec le Ring, à consumer un monde
dans un fracas inextinguible. Les timbres délicats de l’orchestre nous
rappellent également que la musique contemporaine ne tourne pas le dos à la
beauté du son et de la mélodie.
Suivaient la
première Symphonie de Chambre, op. 9,
d’Arnold Schönberg. L’Orchestre et le chef en donnent une lecture
contemporaine, faisant le lien entre Wagner et Sciarrino, nous rappelant que si
Schönberg peut être vu comme la naissance de l’avant-garde musicale, le vrai
révolutionnaire demeure néanmoins Richard Wagner. Singulière dans l’œuvre de
Schönberg, cette symphonie, par sa forme comme par son langage, est l’une des
œuvres les plus importantes du siècle, point d’ancrage de toute une génération,
elle forme dans l’évolution de l’écriture du fondateur de la seconde Ecole de
Vienne comme dans l’enchainement du programme de ce soir un point de
condensation, d’équilibre entre deux états de l’art.
Enfin, de Salvatore Sciarrino, une pièce
intitulée Lohengrin, Action invisible
pour soliste, instrument et voix. Dans cette pièce composée à Milan entre
1982 et 1984, Sciarrino ne retient du mythe d’Elsa de Brabant que la seule
scène hallucinatoire, oubliant tout le reste de l’action et notamment la
présence de Lohengrin arrivant dans une nacelle tirée par un cygne blanc,
naviguant sur l’Escaut. L’Elsa de Sciarrino est un îlot au cœur d’un espace de
solitude et de silence. Elsa est le silence de l’action invisible. Sur un poème
de Jules Laforgue démonté en prétexte originel, Sciarino jette la jeune fille
hors d’elle-même. Les mots n’ont plus de sens mais la perception acoustique
d’un message haché remplace le langage. Prononciation, souffle, accent, timbre,
babil inabouti ou onomatopées, Elsa ne parvient pas à s’exprimer, à sortir du
fusionnel dans une crise thérapeutique ratée. C’est la révélation par la
musique de l’Idée au sens platonicien du terme, cette Idée que Schönberg
cherchait également à exprimer jusque dans Moïse
et Aaron, dont l’arrivée au pouvoir des nazis en janvier 1933 empêcheront
la finition, l’expression.
Cette Elsa
interroge d’abord et avant tout le langage dans sa capacité à exprimer un état
sinon un être. Jamais pastiche d’une œuvre wagnérienne plus ample à tous
égards, cette pièce nous permet au contraire d’ouvrir les perspectives tracées
par le programme du Festival, qui regroupe des textes et des illustrations
souvent bien plus intéressants que la programmation artistique qu’il propose
sur les diverses scènes. Du lied à la mélodie infinie, un premier article de
Hélène Cao nous parle du langage wagnérien, dont Sciarrino atteindra à la
déconstruction son par son. L’exposition Wagner,
l’opéra hors de soi permet à Christophe Imperiali de poser que rien
d’humain n’est étranger à l’art, ce qui nous ramènerait à penser l’homme comme
seule forme aboutie d’œuvre d’art totale pour chanter le monde. Autre
exposition, L’œuvre d’art de l’avenir ou
le temps dilaté permet de poser la persistance de l’apport de Wagner à l’art
contemporain, y compris par ailleurs dans l’analyse de l’influence de Wagner
sur le cinéma, alors que Michael Jarell, dans la création Siegfried, nocturne, voit au contraire le héros comme l’incarnation
d’un héritage culturel en perdition, interpelant les figures du passé par un
personnage hors temps. Sur un poème d’Olivier Py finissant sur l’immobilité du
Rhin qui voue l’homme à l’attente alors que l’ange de l’histoire marche à
reculons. « Le Rhin est immobile et
ma présence est de moins en moins réelle. Pour moi il ne peut y avoir aucune
autre image ».
2 novembre 2013.
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