En cette année qui marque le 90ème anniversaire de Pierre
Boulez, lequel n’apparaît plus au pupitre depuis déjà quelque temps, les
hommages se multiplient. Le Festival de Salzbourg s’y prêtait également en
programmant, ce 30 juillet 2015, l’une de ses œuvre au programme du concert de l’ORF
Radiosymphonieorchester Wien, sous l’excellente direction de son jeune
directeur musical, Cornelius Meister. Le concert s'inscrit dans la programmation Salzburg Contemporary, cette année largement consacrée à l’œuvre de Boulez. En joignant à la pièce du Maître la
première symphonie de Gustav Mahler, l’on ajoutait celle d’un compositeur qui
lui est cher depuis longtemps et duquel il a donné et gravé de mémorables
interprétations avec divers orchestres, notamment à Salzbourg. Je me souviens
en effet encore de la Quatrième Symphonie qu’il y donna il y a une dizaine
d’années maintenant. Pourtant, le choix de la pièce interroge, pour ne pas dire
surprend : Rituel In memoriam Bruno
Maderna. L’on peut certes marquer l’anniversaire d’un compositeur enjouant
sans n’importe laquelle de ses œuvres, mais celle-ci ayant été écrite à
l’occasion du décès de Bruno Maderna, en sa mémoire, donne l’impression que
l’on fête un mort et non un vivant. Était-ce vouloir rappeler que l’œuvre
survit à son créateur comme à son interprète ? Je ne sais.
In memoriam Bruno Maderna pour
orchestre en huit groupes est une œuvre intéressante de Pierre Boulez.
Créée le 2 avril 1975 à Londres, elle marque sa proximité avec un collègue trop
tôt disparu, qui fut l’un des compositeurs marquant, mais aussi un chef
important du XXème siècle. Le disque qui a gardé la mémoire de la
direction par Maderna à Londres de la Neuvième Symphonie de Mahler nous permet
de profiter encore aujourd’hui d’une interprétation lumineuse, sans doute la
meilleure (à mon goût) de toutes celles existant au disque. Le programme de la
soirée souligne d’ailleurs les trois figures de compositeurs et chefs
d’orchestre dont les noms sont au programme. Bruno Maderna, Pierre Boulez comme
Gustav Mahler partagent le fait d’être tous trois de grands compositeurs et de
grands chefs, qui ont marqué la musique de deux siècles successifs. L’orchestre
de Pierre Boulez est réparti en huit groupes de deux à seize musiciens chacun,
qui sont coordonnée de manière très complexe. Répartis tout autour du public
dans la Felsenreitschule qui donnait également ces soirs là l’opéra de Wolfgang
Rihm Die Eroberung von Mexico, qui
exige le même genre de spatialisation, le chef se plaçait au centre de la salle
pour diriger tous les pupitres. C’est aussi à Gruppen de Karlheinz Stockhausen ou à Quadrivium de Bruno Maderna que l’on peut penser, avec ce genre de
partition de l’orchestre en plusieurs entités coordonnées. La direction de
Boulez m’a toujours semblé d’une grande précision, faite de rigueur et de
simplicité du geste. Celle de Cornelius Meister également ce soir, même si elle
se dessinera plus expressive après l’entracte, dans la symphonie de Mahler. Il
est vrai que dans cette configuration, il donne le signal à chaque groupe qui est
dirigé par un percussionniste, qu’il ne dirige pas ainsi chacun des groupes
comme il le fera dans l’orchestre rassemblé pour l’œuvre de Mahler.
Ces musiques de Boulez et Mahler sont présentées par Walter Weidringer,
dans le programme du soir, sous le titre Trauerritual
und triumphaler Durchbruch. L’on sait en effet la place des éléments de
marches funèbres dans l’œuvre de Mahler, que l’on retrouve dans quasiment
toutes ses partition, sauf peut-être la quatrième symphonie. L’on relèvera que
la pièce de Boulez se construit en sept parties, représentant les sept lettres
du nom de Maderna, auxquels les percussions de chaque groupe impulsent des
tempi individualisés, leur donnant une indépendance rythmique sous la direction
du chef. Longue d’environ une demi-heure, la pièce impressionne dans l’espace
de la Felsenreitschule.
La première symphonie de Mahler qui suit, est surnommée Titan, d’après le roman de Jean-Paul,
auteur très à la mode à l’époque dans le monde germanique et qui marqua nombre
de compositeurs. A l’époque de sa
composition, Mahler a vingt-huit ans et est déjà un chef d’orchestre renommé,
dirigeant à Leipzig, où il est l’assistant d’Artur Nikisch. Poème symphonique
vulgaire et insensé qui défie toutes les lois de la musique, cette œuvre fut
mal accueillie à sa création. Ce caractère novateur est sans doute un point
commun supplémentaire entre les trois noms au programme de ce soir. L’œuvre se
place entre intimité et théâtralité, elle reprend, comme toutes les premières
symphonies de Mahler, des structures de lieder, ici notamment celle que l’on
retrouvera dans les Lieder eines
fahrenden Gesellen et bien sûr, dans le troisième mouvement, le célèbre
canon de frère Jacques. C’est comme
de la nature que vient son premier mouvement (« Wie ein Naturlaut »), qui pose clairement la question de
savoir comment une symphonie doit commencer. De la nature que l’on retrouvera
également, comme la mort, tout au long de la vie de Mahler dans ses
compositions, l’on se dirige vers un Finale impressionnant que, dans l’une de
ses déclarations, Mahler disait tiré de L’enfer
de Dante.
Le titan de la soirée restera portant Cornelius Meister, qui réussit le
tour de force de parfaitement rendre la très difficile partition de Boulez,
puis de donner une solide première de Mahler, avec une qualité de timbres et
d’orchestre qui laissent admiratif. Heureuse la ville qui peut compter autant
de formations musicale de cette ampleur et de ce niveau, autant de musiciens et
de chefs capables de telles performances. A trente-cinq ans aujourd’hui,
Cornelius Meister dirige l’orchestre depuis cinq ans déjà, dans un répertoire
très large qui comprend beaucoup d’œuvres peu jouées et de créations, en plus
du répertoire habituel. C’est cette expérience qui parle ce soir dans l’assurance
de l’exécution des deux œuvres données.
16 août 2015.
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