dimanche 16 août 2015

LORSQUE LE CONTENU DEPASSE LA FORME


En cette année qui marque le 90ème anniversaire de Pierre Boulez, lequel n’apparaît plus au pupitre depuis déjà quelque temps, les hommages se multiplient. Le Festival de Salzbourg s’y prêtait également en programmant, ce 30 juillet 2015, l’une de ses œuvre au programme du concert de l’ORF Radiosymphonieorchester Wien, sous l’excellente direction de son jeune directeur musical, Cornelius Meister. Le concert s'inscrit dans la programmation Salzburg Contemporary, cette année largement consacrée à l’œuvre de Boulez. En joignant à la pièce du Maître la première symphonie de Gustav Mahler, l’on ajoutait celle d’un compositeur qui lui est cher depuis longtemps et duquel il a donné et gravé de mémorables interprétations avec divers orchestres, notamment à Salzbourg. Je me souviens en effet encore de la Quatrième Symphonie qu’il y donna il y a une dizaine d’années maintenant. Pourtant, le choix de la pièce interroge, pour ne pas dire surprend : Rituel In memoriam Bruno Maderna. L’on peut certes marquer l’anniversaire d’un compositeur enjouant sans n’importe laquelle de ses œuvres, mais celle-ci ayant été écrite à l’occasion du décès de Bruno Maderna, en sa mémoire, donne l’impression que l’on fête un mort et non un vivant. Était-ce vouloir rappeler que l’œuvre survit à son créateur comme à son interprète ? Je ne sais.
In memoriam Bruno Maderna pour orchestre en huit groupes est une œuvre intéressante de Pierre Boulez. Créée le 2 avril 1975 à Londres, elle marque sa proximité avec un collègue trop tôt disparu, qui fut l’un des compositeurs marquant, mais aussi un chef important du XXème siècle. Le disque qui a gardé la mémoire de la direction par Maderna à Londres de la Neuvième Symphonie de Mahler nous permet de profiter encore aujourd’hui d’une interprétation lumineuse, sans doute la meilleure (à mon goût) de toutes celles existant au disque. Le programme de la soirée souligne d’ailleurs les trois figures de compositeurs et chefs d’orchestre dont les noms sont au programme. Bruno Maderna, Pierre Boulez comme Gustav Mahler partagent le fait d’être tous trois de grands compositeurs et de grands chefs, qui ont marqué la musique de deux siècles successifs. L’orchestre de Pierre Boulez est réparti en huit groupes de deux à seize musiciens chacun, qui sont coordonnée de manière très complexe. Répartis tout autour du public dans la Felsenreitschule qui donnait également ces soirs là l’opéra de Wolfgang Rihm Die Eroberung von Mexico, qui exige le même genre de spatialisation, le chef se plaçait au centre de la salle pour diriger tous les pupitres. C’est aussi à Gruppen de Karlheinz Stockhausen ou à Quadrivium de Bruno Maderna que l’on peut penser, avec ce genre de partition de l’orchestre en plusieurs entités coordonnées. La direction de Boulez m’a toujours semblé d’une grande précision, faite de rigueur et de simplicité du geste. Celle de Cornelius Meister également ce soir, même si elle se dessinera plus expressive après l’entracte, dans la symphonie de Mahler. Il est vrai que dans cette configuration, il donne le signal à chaque groupe qui est dirigé par un percussionniste, qu’il ne dirige pas ainsi chacun des groupes comme il le fera dans l’orchestre rassemblé pour l’œuvre de Mahler.  
Ces musiques de Boulez et Mahler sont présentées par Walter Weidringer, dans le programme du soir, sous le titre Trauerritual und triumphaler Durchbruch. L’on sait en effet la place des éléments de marches funèbres dans l’œuvre de Mahler, que l’on retrouve dans quasiment toutes ses partition, sauf peut-être la quatrième symphonie. L’on relèvera que la pièce de Boulez se construit en sept parties, représentant les sept lettres du nom de Maderna, auxquels les percussions de chaque groupe impulsent des tempi individualisés, leur donnant une indépendance rythmique sous la direction du chef. Longue d’environ une demi-heure, la pièce impressionne dans l’espace de la Felsenreitschule.
La première symphonie de Mahler qui suit, est surnommée Titan, d’après le roman de Jean-Paul, auteur très à la mode à l’époque dans le monde germanique et qui marqua nombre de compositeurs.  A l’époque de sa composition, Mahler a vingt-huit ans et est déjà un chef d’orchestre renommé, dirigeant à Leipzig, où il est l’assistant d’Artur Nikisch. Poème symphonique vulgaire et insensé qui défie toutes les lois de la musique, cette œuvre fut mal accueillie à sa création. Ce caractère novateur est sans doute un point commun supplémentaire entre les trois noms au programme de ce soir. L’œuvre se place entre intimité et théâtralité, elle reprend, comme toutes les premières symphonies de Mahler, des structures de lieder, ici notamment celle que l’on retrouvera dans les Lieder eines fahrenden Gesellen et bien sûr, dans le troisième mouvement, le célèbre canon de frère Jacques. C’est comme de la nature que vient son premier mouvement (« Wie ein Naturlaut »), qui pose clairement la question de savoir comment une symphonie doit commencer. De la nature que l’on retrouvera également, comme la mort, tout au long de la vie de Mahler dans ses compositions, l’on se dirige vers un Finale impressionnant que, dans l’une de ses déclarations, Mahler disait tiré de L’enfer de Dante.
Le titan de la soirée restera portant Cornelius Meister, qui réussit le tour de force de parfaitement rendre la très difficile partition de Boulez, puis de donner une solide première de Mahler, avec une qualité de timbres et d’orchestre qui laissent admiratif. Heureuse la ville qui peut compter autant de formations musicale de cette ampleur et de ce niveau, autant de musiciens et de chefs capables de telles performances. A trente-cinq ans aujourd’hui, Cornelius Meister dirige l’orchestre depuis cinq ans déjà, dans un répertoire très large qui comprend beaucoup d’œuvres peu jouées et de créations, en plus du répertoire habituel. C’est cette expérience qui parle ce soir dans l’assurance de l’exécution des deux œuvres données.
16 août 2015.

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