La scène commence dans une école française au cours de la seconde guerre
mondiale, alors sous occupation allemande. L’on y voit quelques soldats de la Wehrmacht armés dans la cour et les
enfants se mettre en rangs avec leurs instituteurs pour reprendre la classe.
Puis entrent des hommes que l’on identifie sans mal comme un groupe de
résistants à l’occupant, qui viennent là ourdir quelque plan de bataille. Nous
sommes sur la scène de la Haus für Mozart,
dans le cadre du Festival de Salzbourg, en ce soir de première du 31 juillet
2015. La mémoire de la seconde guerre mondiale demeure ouverte à Salzbourg, que
ce soit sur ce pont qui garde en plusieurs langues l’hommage aux travailleurs
forcés contraints de le reconstruire au risque de leur vie, après un
bombardement allié, ou sur la porte de ce cloître dans la vieille ville, qui
fait encore mention de sa transformation d’alors en quartier général local de
la Gestapo. Chaque fois qu’une mise en scène d’opéra transfert l’action dans un
cadre rappelant ces tristes années noires du nazisme, l’on sent que la plaie
n’est pas refermée, que le travail de mémoire, de dénazification dit-on aussi,
n’a pas été mené des deux côtés de la frontière, en Allemagne et en Autriche,
de la même manière.
Quel est toutefois le propos d’une telle transposition ? Patrice
Caurier et Moshe Leiser l’adoptant ce soir dans une reprise de leur production
au même endroit, au Festival de Pâques 2013, ne semblent guère l’avoir
approfondi et la facilité apparaît bien vite. C’est de la mise en scène de Norma, opéra de Vincenzo Bellini, qu’il
s’agit. Norma est, aux temps antiques des Gaulois, la grande prêtresse des
Druides, celle qui guide par ses conseils l’action des hommes opposés alors à
l’occupation romaine. Certes, le parallèle peut sembler évident entre
l’occupation de la Gaule par les aigles romaines de l’Antiquité et celle de la
France par les aigles nazies entre 1939 et 1945. Cette évidence ne résiste
toutefois pas à un questionnement plus approfondi. L’on pousse l’idée à son
terme en tondant Norma à la fin, sanction que la populace à la Libération
imposa aux femmes françaises qui avaient couché avec des Allemands. Néanmoins,
au fond, la transposition ne colle pas, elle n’apporte rien au propos et, de
fait, l’essentiel de l’opéra est présenté en avant-scène sur fond d’un rideau
noir tendu qui forme le huis-clos dans lequel Norma se débat avec ses
responsabilités. Trop facile, la transposition n’emporte pas l’adhésion,
rappelle irrémédiablement à l’ouverture du rideau le film de Louis Malle sans
pourtant approfondir le lien potentiel entre ces écoliers et les enfants que
Norma abandonne à la fin à la garde de son père. Elle ne gêne pas non plus le
spectateur et apparaît finalement comme neutre, suffisamment pauvre pour, au
fond être ignorée tout au long de la soirée.
Ce qui marque en effet, c’est l’incarnation de la grande prêtresse
druidique qu’offre Cecilia Bartoli. Comme en son temps Maria Callas, qui marqua
le rôle de manière indélébile, la Bartoli se l’approprie aujourd’hui
pleinement. Le titre de l’opéra ne dit finalement rien d’autre que le nom de
son héroïne, Norma. Le nom de la
Bartoli aujourd’hui se confond avec elle. Peu importe en somme ce qu’il y a
autour, mise en scène, tenants des autres rôles, somme toutes tous secondaires,
orchestre et direction. La fusion Norma-Bartoli occupe seule toute les
sensations. A juste titre d’ailleurs, tant Cecilia Bartoli donne du rôle une
interprétation saisissante. L’on connaît ses qualités de tragédienne et l’on
sait à quel point sa présence sur scène est puissante. Elle offre une
interprétation très travaillée, jamais ne se laisse aller à la facilité
d’ornementations qui pourrait facilement provoquer l’adhésion du publique.
Ce rôle est largement considéré comme l’un des plus difficiles du répertoire de soprano. Il y faut une grande technique et des qualités de tragédienne, il faut des graves solides pour rendre la noirceur de la situation et une agilité totale dans l’aigu aussi. Le célèbre air à la déesse de la lune, première entrée de la cantatrice, Casta Diva, chaste déesse, offre une leçon de belcanto. La longueur du souffle y est exigée comme la précision de vocalises qui poussent par trois fois au contre-ut. La Bartoli nous présente un travail de chaque nuance, une maîtrise de chaque note, pensée dans une lumière sélène qui rendrait presque le visage de Greta Garbo dans Mata Hari. Nulle facilité dans cette approche faite d’intériorité, dans cette invocation à la chaste déesse par sa grande prêtresse qui se sait depuis longtemps fautive et traître à ses engagements. Il y a une prière pour elle-même, rentrée, désespérée, autant qu’une invocation aux oracles à transmettre aux hommes qui attendent les armes à la main, de savoir s’ils doivent fondre sur l’ennemi ou bien encore supporter le joug de l’occupant étranger. Dans le bouleversant arioso qui ouvre le second acte, l’on retrouve toute la densité de l’interprétation dans laquelle s’immerge totalement la Bartoli. Elle sait aussi libérer sa fureur face à la trahison de Pollione, laisser éclater sa virtuosité dans les fameuses coloratures di bravura éxigées par Bellini. Les deux terribles sauts d’une octave et demie, qui concluent l’air Oh, non tremare sont exemplaires ici de maîtrise et de projection. La fin du récitatif au Temple d’Irminsul lance un contre-ut de feu. La présence de Norma sur scène ne se limite de loin pas aux airs que lui confie Bellini, car les récitatifs qu’il compose sont aussi dotés d’un relief particulier. Bartoli instaure un ton certes altier et souverain qui convient au Sediziose voci, mais teinté de sa propre faute et de ses doutes dans une phrase déclamatoire qui se fait fragile. Elle présente la fragilité de la femme et l’affection de la mère qu’elle est devenue, les deux faces de la même médailles, dans les subtilités qu’elle met au Vanne e li celi entrambi. Elle doute dans le Teneri figli, particulièrement dramatique face à l’infanticide auquel elle pense vouloir, superbe mélodie dont Chopin fera l’une de ses études pour piano. Enfin, elle sait se mettre à nu face aux hommes pour confesser sa faute, sur un sol a capella dans l’aveu final qui mettra un terme au drame. Face aux exigences d’une telle partition, une grande Norma ne peut adopter les facilités des metteurs en scène de ce soir ; elle y perdrait la pureté de son chant et la quintessence du drame. La Bartoli s’y refuse heureusement et nous offre la plénitude d’une grande incarnation. Elle assure le triomphe de la soirée et finalement, repousse cette mise en scène au second plan, elle est seule le feu qui la ronge et peu importe la manière dont on peut habiller l’action qui l’entoure. En ne s’inscrivant que dans le rôle, elle ne contredit pas la mise en scène ni ne l’habite, elle la dépasse, use avec intelligence de la vacuité du propos pour élargir son interprétation et occuper la scène en toute liberté.
Ce rôle est largement considéré comme l’un des plus difficiles du répertoire de soprano. Il y faut une grande technique et des qualités de tragédienne, il faut des graves solides pour rendre la noirceur de la situation et une agilité totale dans l’aigu aussi. Le célèbre air à la déesse de la lune, première entrée de la cantatrice, Casta Diva, chaste déesse, offre une leçon de belcanto. La longueur du souffle y est exigée comme la précision de vocalises qui poussent par trois fois au contre-ut. La Bartoli nous présente un travail de chaque nuance, une maîtrise de chaque note, pensée dans une lumière sélène qui rendrait presque le visage de Greta Garbo dans Mata Hari. Nulle facilité dans cette approche faite d’intériorité, dans cette invocation à la chaste déesse par sa grande prêtresse qui se sait depuis longtemps fautive et traître à ses engagements. Il y a une prière pour elle-même, rentrée, désespérée, autant qu’une invocation aux oracles à transmettre aux hommes qui attendent les armes à la main, de savoir s’ils doivent fondre sur l’ennemi ou bien encore supporter le joug de l’occupant étranger. Dans le bouleversant arioso qui ouvre le second acte, l’on retrouve toute la densité de l’interprétation dans laquelle s’immerge totalement la Bartoli. Elle sait aussi libérer sa fureur face à la trahison de Pollione, laisser éclater sa virtuosité dans les fameuses coloratures di bravura éxigées par Bellini. Les deux terribles sauts d’une octave et demie, qui concluent l’air Oh, non tremare sont exemplaires ici de maîtrise et de projection. La fin du récitatif au Temple d’Irminsul lance un contre-ut de feu. La présence de Norma sur scène ne se limite de loin pas aux airs que lui confie Bellini, car les récitatifs qu’il compose sont aussi dotés d’un relief particulier. Bartoli instaure un ton certes altier et souverain qui convient au Sediziose voci, mais teinté de sa propre faute et de ses doutes dans une phrase déclamatoire qui se fait fragile. Elle présente la fragilité de la femme et l’affection de la mère qu’elle est devenue, les deux faces de la même médailles, dans les subtilités qu’elle met au Vanne e li celi entrambi. Elle doute dans le Teneri figli, particulièrement dramatique face à l’infanticide auquel elle pense vouloir, superbe mélodie dont Chopin fera l’une de ses études pour piano. Enfin, elle sait se mettre à nu face aux hommes pour confesser sa faute, sur un sol a capella dans l’aveu final qui mettra un terme au drame. Face aux exigences d’une telle partition, une grande Norma ne peut adopter les facilités des metteurs en scène de ce soir ; elle y perdrait la pureté de son chant et la quintessence du drame. La Bartoli s’y refuse heureusement et nous offre la plénitude d’une grande incarnation. Elle assure le triomphe de la soirée et finalement, repousse cette mise en scène au second plan, elle est seule le feu qui la ronge et peu importe la manière dont on peut habiller l’action qui l’entoure. En ne s’inscrivant que dans le rôle, elle ne contredit pas la mise en scène ni ne l’habite, elle la dépasse, use avec intelligence de la vacuité du propos pour élargir son interprétation et occuper la scène en toute liberté.
Autour d’elle se meuvent les autres rôles, somme toute tous secondaires.
Rebeca Olvera est une bonne Adalgisa, jamais une rivale ; elle occupe son
rôle à sa juste place, sans jamais nous faire quitter du regard la présence de
Norma. Le Pollione de John Osborne est un superbe ténor qui peut sembler
manquer d’un certain éclat belcantiste, mais qui donne par là à son rôle plus
d’humanité aussi. Il n’est pas un vainqueur triomphant mais un chef qui déroge
à ses devoirs par ses amours clandestines et successives, qui a déjà perdu la
ferveur des siens et la confiance de ses supérieurs, qui l’ont rappelé à Rome.
Michele Pertusi campe un excellent Oroveso, père de Norma mais chef d’armée
avant tout, qui imposera le respect des règles et le sacrifice de sa fille sans
faiblir, sauf in extremis pour en sauver les fils. Cette basse assume
pleinement son autorité vocale et théâtrale. La Clotilde de Liliana Nikiteanu
accompagne sa maîtresse en formant les transitions nécessaires et le Flavio de
Reinaldo Macias complète une distribution équilibrée autour de la figure de
Norma mais jamais à son niveau. Cet opéra met en scène la figure transcendante
de la grande prêtresse de la Lune, qui se place, jusqu’au sacrifice final,
au-dessus des hommes, et Cecilia Bartoli l’incarne ainsi, au-dessus du reste
d’une distribution cohérente, à laquelle on ne peut rien reprocher. Ce n’est
pas tant Norma que Bartoli que l’on vient entendre ce soir. Ce n’est pas
contraire à la dramaturgie de cet opéra et pleinement justifié par la
performance de l’actrice qui la chante. Dans la fosse, un excellent Orchestra La Scintilla, sous la baguette
experte de Giovanni Antonini. Les Chœurs de la Radiotélévision suisse
complétant agréablement le tableau. Une superbe soirée autour d’un nom, Norma ou
Bartoli, Bartoli ou Norma, fusion incandescente d’une interprète et d’un rôle,
qui se donne en ce soir de première qui est aussi une nuit de pleine lune et
permet de trouver en sortant dans la lumière de cette belle la nuit d’été ainsi
éclairée la plénitude de l’ombre de la terre.
15 août 2015
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