Il y a des œuvres inachevées du fait de la mort de leur auteur en cours
de composition, d’autres qui le sont pour des motifs non explicables a priori,
le compositeur semblant être passé à autre chose sans terminer sa tâche
créatrice. L’on a ainsi pu débattre longuement des raisons pour lesquelles
Schubert aurait laissé sa symphonie ou sa cantate inachevées. Il n’en demeure
pas moins que nous n’en savons rien. Pourtant, tant la septième (encore parfois
numérotée huitième) symphonie, D759, dite « Die Unvollendete », que la cantate Lazarus, D689, également inachevée, marquent des tournants dans
l’œuvre de Schubert. La première, qui ouvre le concert de ce soir, 24 juillet
2015, à la Felsenreitschule de Salzburg, par la Camerata de Salzbourg sous la
direction d’Ingo Metzmacher, en matière de composition symphonique, la seconde,
à l’exécution de laquelle s’ajoutent le Salzburger Bachchor et les solistes, en
matière de musique dramatique.
En deux mouvements seulement, successivement Allegro moderato et Andante
con moto, la septième symphonie reste l’une des œuvres les plus populaires
de Schubert, mais aussi des plus mystérieuses. Elle ne fait suite à aucune
commande, ne répond pas à une possibilité d’exécution et n’est jamais
mentionnée dans sa correspondance, d’où le fait que l’on a longtemps cru qu’il
pouvait exister, à la même époque de la vie de Schubert, une autre symphonie
dont le manuscrit aurait été perdu et qui porterait son total au chiffre
symbolique de neuf en la matière, tout comme Beethoven. Aujourd’hui néanmoins,
l’on arrête communément le compteur à huit, l’inachevée se trouvant ainsi
rétrogradée au rang de septième symphonie et la Grande, de huitième, dût en perdre
un peu de consistance ce mythe romantique autour des « neuvièmes »
successives et indépassables de Beethoven, Schubert, Bruckner et Mahler. Sous
la direction d’Ingo Metzmacher, elle peine à convaincre. J’ai trouvé les
articulations et las accents brutaux, les cordes, et surtout les contrebasses, rêches et, dans l’ensemble, des choix de tempi trop rapides à mon goût,
éléments de style que l’on ne retrouvait pas dans la seconde partie.
Tout comme la septième symphonie, la cantate Lazarus, D689 est restée au niveau du fragment, puisque pensée en
trois actes, elle s’interrompt brutalement au milieu du deuxième, après quelques
mesure d’un air confié à Marthe, l’une des sœurs de Lazare. L’interruption est
abrupte, puisqu’elle se trouve au milieu d’une phrase : « Ich will ihm folgen/ Durch alle
Sternenbahnen/Und… » Et quoi ? nous n’en saurons jamais rien.
Seule suit la mention : « Hier
bricht die Partitur ab ». L’inachèvement de l’œuvre n’a pas de cause
connue et Schubert n’y reviendra jamais ; l’on ne dispose en effet d’aucun
élément de preuve pouvant laisser penser que la suite eut été composée puis
perdue. C’est d’ailleurs en cet état fragmentaire que sa première exécution eut
lieu à Vienne le 11 avril 1830. La résurrection est donc en tant que telle
absente de l’œuvre, puisque Schubert n’a composé que les parties montrant
l’approche de la mort de Lazare (Acte I) et la veillée funèbre (Acte II), sans
approcher jamais la suite. Les personnages de l’œuvre sont Lazare et ses
proches, Lazare dont la mort, annoncée par lui-même, forme le sommet de la
cantate. Il y a d’abord Nathanaël, l’ami, solide dans sa foi, et Simon, qui
n’entrera qu’au deuxième acte, moins crédule, puis les deux sœurs de Lazare,
Marie, plus apaisée, et Marthe, passionnée et douloureuse. Vient enfin Jemina,
déjà ressuscitée par le Christ et qui vient compter à Lazare mourant son
expérience merveilleuse de retour à la vie. Nous avons donc là six
personnages, trois hommes (deux ténors et un baryton) et trois femmes (trois
sopranos), qui forment des groupes de deux très clairement décrits. Il y a Lazare
et Jemina, qui font l’expérience de la mort, Marie et Nathanaël, qui sont dans
la souffrance illuminée par leur foi, enfin, Simon (la seule voix grave) et
Marthe, qui souffrent des passions plus humaines. L’abondance des tempos lents
dans ces pages, avec des formes de dialogues à l’orchestre, rarement utilisé à
plein, sont une des marques de cette œuvre. Schubert semble y avoir cherché la
fusion de l’air et du récitatif dans un récit dramatique continu. Le récitatif
est ici chargé d’une grande valeur dramatique et il ne se distingue que
difficilement des quatre passages marqués Aria.
Il y a dans tout le récit un fil conducteur continu dans un enchevêtrement
serré de tempos et de tonalités et les récitatifs sont autant que les airs
chargés de force. L’on est là dans quelque chose qui ouvre directement la porte
à Wagner et qui donne à cette cantate inachevée une grande modernité. Comme
toutes les voix n’interviennent qu’en soliste, l’on reste constamment proche du
Lied, avec cette richesse orchestrale qui lui donne une dimension nouvelle, que
l’on retrouvera dans la clarinette du dernier Lied écrit par Schubert, « Der Hirt am Felsen » (D965). Les
deux chœurs interviennent à la fin du premier acte, chœur mixte qui implore la
miséricorde divine pour l’ami qui vient de mourir, puis au début du second, double
chœur, masculin et féminin, pour l’accompagnement à la tombe. Dans les mots de
Britigtte Massin : « Air,
lumière, paix, telles seraient finalement les caractéristiques principales de
cette œuvre étrange, où des êtres venus d’ailleurs semblent se complaire à
chanter la mort avec délectation, ce qui n’enlève rien, bien au contraire, au
dramatisme intense de ces pages » (Franz Schubert, Fayard, p. 892).
Pour une raison qui m’a échappé, le chef a interrompu l’exécution au
début de la première intervention de Marthe, pour reprendre l’œuvre au début. Lazare
était ce soir Maximilian Schmitt et Nathanaël Werner Güra. Pourtant, celui qui
ressort est incontestablement le Simon de Thomas E. Bauer, dont l’entrée à l’ouverture
du deuxième acte, lorsqu’il arrive trop tard pour voir encore son ami en vie,
est magistrale. La puissance dramatique que le chef, le chanteur et l’orchestre
donnent à ces pages orchestrales d’abord, tendent à l’opéra et semble
s’approcher de celle qui aurait pu être recherchée dans la symphonie donnée en
première partie de soirée. Nulle agressivité, nulle brutalité ici, des cordes
plus douces aussi dans la mort. La Maria de Marlis Petersen avait toute la
dévotion requise à son frère mais Sophie Karthäuser peinait un peu à rendre le
caractère exceptionnel de l’expérience vécue par Jemina. Par contre, la
présence de Sophie Karthäuser, Marthe de feu et de passion dont l’engagement
suffirait à faire relever Lazare d’entre les morts est exceptionnelle.
Nullement troublée par l’interruption du chef dans son premier air, elle habite
la partition de ce qui reste, avec le Simon de Thomas E. Bauer, la plus forte
présence de la soirée.
26 juillet 2015
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