Dans sa traduction
du poème de John Milton, Paradise Lost,
Chateaubriand commence par quelques remarques : « Si je n’avais voulu
donner qu’une traduction élégante du Paradis
perdu, on m’accordera peut-être assez de connaissance de l’art pour qu’il
ne m’eût pas été impossible d’atteindre la hauteur d’une traduction de cette
nature ; mais c’est une traduction littérale dans toute la force du terme
que j’ai entreprise, une traduction qu’un enfant et un poëte pourront suivre
sur le texte, ligne à ligne, mot à mot, comme un dictionnaire ouvert sous leurs
yeux. Ce qu’il m’a fallu de travail pour arriver à ce résultat, pour dérouler une
longue phrase d’une manière lucide sans hacher le style, pour arrêter les
périodes sur la même chute, la même mesure, la même harmonie ; ce qu’il
m’a fallu de travail pour tout cela ne peut se dire ». Le propos du poète se fait aussi musical.
Les sources des
oratorios de Haydn, en particulier de Die
Schöpfung (La Création), sont à rechercher dans ses voyages en Angleterre,
en 1791, puis en 1794-1795. Il y découvrit grâce aux soins mis à l’accueillir
par l’organisateur de concerts londonien Johann Peter Salomon la tradition du
grand oratorio. Sa première audition, dans l’Abbaye de Westminster, en mai
1791, du Messiah de Haendel l’avait
bouleversé. Sa découverte quatre ans plus tard du texte du poème de John Milton
acheva d’ouvrir la voie vers les derniers horizons de son œuvre monumentale. Ne
parlant pas l’anglais, Haydn confia au Baron Gottfried van Swieten le soin de
la traduction et de la construction du livret. Diplomate polyglotte et grand
animateur de la vie musicale viennoise en ces temps-là, le Baron était
également un profond admirateur de la musique de Bach ou de Haendel. Il
s’exécuta et réitéra sa collaboration avec Haydn pour son second grand
oratorio, Die Jahreszeiten (Les
saisons).
Les premières
mesures forment le chaos de l’univers et Raphael ouvre le premier
récitatif : « Im Anfange schuf
Gott Himmel und Erde, und die Erde war ohne
Form und leer, und Finsternis war auf der Fläche der Tiefe ». Très
vite Haydn nous offre de sortir de la profondeur des ténèbres. Florian Boesch
incarne un Raphaël créatif dont la richesse du timbre nous guide au travers des
six jours de la Création, courant la terre, les mers et les airs. Il est
particulièrement bien entouré par Mark Padmore, qui campe avec éclat un Uriel,
porteur de la lumière de Dieu mais qui finira par chasser Adam et Eve du Jardin
d’Eden. Dans le poème de Milton, Uriel est le régent du Soleil et de son orbe,
le plus proche du trône de Dieu. Gabriel est la force de Dieu, celui qui
annonce les bonnes nouvelles. Au second jour, Elsa Dreisig (qui remplaçait au
pied levé Genia Kühmeier) nous offrait dans ce rôle sa part dans les merveilles de la Genèse :
« Mit Staunen sieht das Wunderwerk
der Himmelsbürger frohe Schar, und laut ertönt aus ihren Kehlen des Schöpfers
Lob, das Lob des zweiten Tags ».
Dans la troisième
et dernière partie de l’œuvre, Haydn nous place dans le Jardin d’Eden, avec Adam
(Florian Boesch) et Eve (Elsa Dreisig). La perte du paradis, à suivre la
partition comme l’engagement des chanteurs incarnant ce couple premier, ne
semble pas en être une. Le gain du savoir leur ouvre le monde et même Uriel les
chassant ne les punit pas : « O
glücklich Paar, und glücklich immerfort, wenn falscher Wahn euch nich verführt,
noch mehr zu wünschen als ihr habt, und mehr zu wissen als ihr sollt ».
Ah, l’accès à la connaissance, au savoir, nous place meilleurs que nous ne
fussions sensés rester. C’est ainsi que nous sommes tous issus de la Chute mais
a-t-on besoin de remonter jusqu’au Paradis perdu lorsque Bach, Haendel ou Haydn
nous offrent de l’entendre ?
Sir Simon Rattle a
fait de cette Création l’ouverture de sa dernière saison à la tête du
Philharmonique de Berlin, le 25 août 2017. En commandant à Georg Friedrich
Haas, compositeur né en 1953, une pièce pour ouvrir ce concert, il préparait à
l’organisation du Chaos. Dans un commentaire, le compositeur disait :
« Wenn meine Worte versagen, muss
ich in Musik sprechen. Ich habe versucht, ein Ritual zu komponieren. Ein Ritual
für Heilung und Licht ». Rattle nous présente dans ces pages cette
forme de synthèse qu’il a développée ces dernières années et qui s’est exprimée
à travers tous les répertoires abordés, notamment les deux Passions de Bach,
les dernières symphonies de Mozart, les cycles Sibélius ou Beethoven. L’on y
trouve une profonde connaissance des partitions, l’imprégnation d’un savoir qui
englobe toutes les traditions interprétatives des derniers siècles, la fusion
des styles, l’ouverture sur de nouvelles perspectives, la volonté de faire entendre ce que ces œuvres recèlent encore de mystères. Avec un orchestre
fabuleux qui peut tout, il organise le chaos, dissipe les ténèbres dont il
tourne les profondeurs à la lumière. A la sortie du Paradis, il nous offre de
partir vers l’immensité de la découverte du monde.
Dans le programme du soir, le violoniste Stanley Dodds souligne que l’orchestre peut aller maintenant dans des directions différentes, ce qui nous fait souvenir que, en choisissant de confier son sort à Rattle en 2002, c'est justement l'argument de ne pas savoir où il serait conduit qui avait guidé ce choix. Après une époque où tous ses dirigeants étaient allemands (entre 1882 et 1989, successivement Hans von Bülow, Arthur Nikisch, Wilhelm Furtwängler et Herbert von Karajan), l’orchestre s’engage dans une seconde époque où plus aucun ne l’est (Claudio Abbado, Sir Simon Rattle et dès l’an prochain Kirill Petrenko), les chemins s’ouvrent et le répertoire continue de s’enrichir. Chance ou risque ? Stanley Dodds souligne que durant les vingt-trois ans qu’il a passé dans l’orchestre, il a vécu un véritable changement de génération et une période de consolidation sous la direction de Rattle.
Donnée pour la première fois à Lucerne, dans le cadre du Festival, le 27 août 1949, avec Irmgard Seefried, Ludwig Walter et Boris Christoff sous la direction de Wilhelm Furtwängler, Die Schöpfung y avait été donnée pour la dernière fois avant ce soir, le 5 avril 2003, sous la direction de Nikolaus Harnoncourt. Sir Simon Rattle unit et dépasse les deux approches de ses prédécesseurs et ouvre sur l’avenir. Guérison et lumière, la création du monde est consolidée, la dernière page de la partition se referme, comme Haydn Sir Simon prépare son retour en Angleterre ou peut-être pense-t-il déjà à nous offrir de revoir avec lui la tradition des grands oratorios.
Dans le programme du soir, le violoniste Stanley Dodds souligne que l’orchestre peut aller maintenant dans des directions différentes, ce qui nous fait souvenir que, en choisissant de confier son sort à Rattle en 2002, c'est justement l'argument de ne pas savoir où il serait conduit qui avait guidé ce choix. Après une époque où tous ses dirigeants étaient allemands (entre 1882 et 1989, successivement Hans von Bülow, Arthur Nikisch, Wilhelm Furtwängler et Herbert von Karajan), l’orchestre s’engage dans une seconde époque où plus aucun ne l’est (Claudio Abbado, Sir Simon Rattle et dès l’an prochain Kirill Petrenko), les chemins s’ouvrent et le répertoire continue de s’enrichir. Chance ou risque ? Stanley Dodds souligne que durant les vingt-trois ans qu’il a passé dans l’orchestre, il a vécu un véritable changement de génération et une période de consolidation sous la direction de Rattle.
Donnée pour la première fois à Lucerne, dans le cadre du Festival, le 27 août 1949, avec Irmgard Seefried, Ludwig Walter et Boris Christoff sous la direction de Wilhelm Furtwängler, Die Schöpfung y avait été donnée pour la dernière fois avant ce soir, le 5 avril 2003, sous la direction de Nikolaus Harnoncourt. Sir Simon Rattle unit et dépasse les deux approches de ses prédécesseurs et ouvre sur l’avenir. Guérison et lumière, la création du monde est consolidée, la dernière page de la partition se referme, comme Haydn Sir Simon prépare son retour en Angleterre ou peut-être pense-t-il déjà à nous offrir de revoir avec lui la tradition des grands oratorios.
31 août 2017.