dimanche 27 août 2017

LES RAISONS DE LA COLERES


4 mai 2017, Genève. Yuja Wang est annoncée dans le premier concerto pour piano de Tchaïkovsky, avec l’Orchestra dell’Academia Nazionale di Santa Cecilia Roma, sous la direction de Sir Antonio Pappano. Fake News ! L’orchestre est en place, la salle se remplit. Les lumières s’éteignent. Soudain, un directeur de cirque lâche un fauve dans les rangs. Cocteau et Stravinsky auraient pu en faire quelque chose, Tchaïkovsky c’est moins sûr. Salut mécanique en un éclair, les octaves pleuvent, agressives, agressées, Allegro non troppo, mention rapidement oubliée, e molto maestoso, caractère mal compris et singé avec brutalité. L’Andantino simplice pourrait être un débat d’entre-deux tours d’une présidentielle erratique, mais prestissimo, l’outrance reprend le dessus. Pas de programme ni de culture dans ces déchainements grossiers. Le port est altier, la plastique avantageuse et le décolleté descend jusqu’aux chevilles. La Chine et le Russie face à face, l’Orchestre italien et le chef britannique cherchent à travailler ensemble, à retrouver l’équilibre, à repérer de la profondeur, y parviennent souvent mais sont rattrapés, dépassés par les hurlements de ceux que l’on n’entend que lorsqu’ils nous font peur. L’Allegro con fuoco lâche une dernière salve, un sourire en coin pour une dernière fois narguer à défaut de vaincre. L’orchestre et le chef, superbes, font front commun pour ne pas trop reculer et tenter de rappeler que, dans l’écriture de Tchaïkovski, la nouveauté des lignes proposait des mesures équilibrées, qu’entre chaque mesure la barre était tenue et que, pour innover totalement l’on pouvait triompher avec éclat, lorsque l’on rassemble l’orchestre sous une baguette inspirée.
A l’entracte les gens tapent dans les mains, se laissent impressionner par le discours déculturé. Elle revient avec deux bis, le premier pour se montrer superficiellement normale, le second pour une dernière charge, celle de trop, le geste chaloupé le rire aux éclats alors que la situation ne s’y prête guère.
Remontant dans la salle après l’entracte, la réalité est bien présente. Deux femmes d’un certain âge (j’écris « un certain âge » comme l’on dirait « Il a un certain charisme ») : Tu as regardé le débat hier soir ? Tu as tenu combien de temps ? – 12 minutes ! Lumières.
Retour à Rome d’où tout partit, à la Ville et au Monde, un imperium que l’on fit impérialisme, les Pins de Rome alignés pour n’en pas faire des faisceaux, les Fontaines de Rome à l’eau rafraichissante d’un acte d’union fondateur qui recréait le Concert des Nations. Ottorino nous redressait les oreilles, Respighi, mort en 1936, respira pour exprimer les sentiments et les visions que lui inspirait la Ville éternelle passée par des jours bien sombres. L’on passait des noms aux chants d’oiseaux dans un calme retrouvé, des couleurs magnifiques et des perspectives d’avenir fondées sur un riche passé millénaire, un temps long dans lequel les années de plomb se perdent et disparaissent. La Fontaine de la Villa Giulia à l’aube, du Triton le matin, de Trevi à midi, de la Villa Médicis au coucher du soleil. Les Pins de la Villa Borghese, ceux près d’une catacombe, sur le Janicule ou le long de la Voie Appienne. Pour retrouver le calme, s’il le faut, donne-moi ta main camarade, prête-moi ton cœur compagnon, nous referons les barricades et la vie, nous la gagnerons.
En bis une Valse triste de Sibélius, retour à l’intime, lorsque l’on ne se retrouve plus qu’avec soi à chercher la sérénité perdue. Subsistent encore quelques tensions, des choix à faire. En second bis, l’Ouverture de Guillaume Tell de Rossini, qui nous rappelle que la fierté d’un peuple ne s’abaisse pas à courber l’échine pour saluer les oripeaux ridicules de l’oppression, que l’homme se dresse pour garder sa liberté, qu’il se dressera d’autant plus haut qu’il lui faudrait exposer la vie des siens.
Ah, j’oubliais, nous avions commencé sur le Caprice Romain N°3 de Richard Dubugnon, compositeur helvétique très applaudi. En de tels temps, un homme qui n’aurait que trois caprices devrait être choisi sans hésiter comme un beau parti.
 
4 mai 2017

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