4 mai 2017, Genève.
Yuja Wang est annoncée dans le premier concerto pour piano de Tchaïkovsky, avec
l’Orchestra dell’Academia Nazionale di
Santa Cecilia Roma, sous la direction de Sir Antonio Pappano. Fake News ! L’orchestre est en
place, la salle se remplit. Les lumières s’éteignent. Soudain, un directeur de
cirque lâche un fauve dans les rangs. Cocteau et Stravinsky auraient pu en
faire quelque chose, Tchaïkovsky c’est moins sûr. Salut mécanique en un éclair,
les octaves pleuvent, agressives, agressées, Allegro non troppo, mention rapidement oubliée, e molto maestoso, caractère mal compris
et singé avec brutalité. L’Andantino
simplice pourrait être un débat d’entre-deux tours d’une présidentielle
erratique, mais prestissimo, l’outrance
reprend le dessus. Pas de programme ni de culture dans ces déchainements
grossiers. Le port est altier, la plastique avantageuse et le décolleté descend
jusqu’aux chevilles. La Chine et le Russie face à face, l’Orchestre italien et
le chef britannique cherchent à travailler ensemble, à retrouver l’équilibre, à
repérer de la profondeur, y parviennent souvent mais sont rattrapés, dépassés
par les hurlements de ceux que l’on n’entend que lorsqu’ils nous font peur. L’Allegro con fuoco lâche une dernière salve,
un sourire en coin pour une dernière fois narguer à défaut de vaincre.
L’orchestre et le chef, superbes, font front commun pour ne pas trop reculer et
tenter de rappeler que, dans l’écriture de Tchaïkovski, la nouveauté des lignes
proposait des mesures équilibrées, qu’entre chaque mesure la barre était tenue
et que, pour innover totalement l’on pouvait triompher avec éclat, lorsque l’on
rassemble l’orchestre sous une baguette inspirée.
A l’entracte les
gens tapent dans les mains, se laissent impressionner par le discours
déculturé. Elle revient avec deux bis, le premier pour se montrer
superficiellement normale, le second pour une dernière charge, celle de trop,
le geste chaloupé le rire aux éclats alors que la situation ne s’y prête guère.
Remontant dans la
salle après l’entracte, la réalité est bien présente. Deux femmes d’un certain
âge (j’écris « un certain âge » comme l’on dirait « Il a un
certain charisme ») : Tu as regardé le débat hier soir ? Tu as
tenu combien de temps ? – 12 minutes ! Lumières.
Retour à Rome d’où
tout partit, à la Ville et au Monde, un imperium
que l’on fit impérialisme, les Pins de Rome alignés pour n’en pas faire des
faisceaux, les Fontaines de Rome à l’eau rafraichissante d’un acte d’union
fondateur qui recréait le Concert des Nations. Ottorino nous redressait les
oreilles, Respighi, mort en 1936, respira pour exprimer les sentiments et les
visions que lui inspirait la Ville éternelle passée par des jours bien sombres.
L’on passait des noms aux chants d’oiseaux dans un calme retrouvé, des couleurs
magnifiques et des perspectives d’avenir fondées sur un riche passé millénaire,
un temps long dans lequel les années de plomb se perdent et disparaissent. La
Fontaine de la Villa Giulia à l’aube, du Triton le matin, de Trevi à midi, de la
Villa Médicis au coucher du soleil. Les Pins de la Villa Borghese, ceux près
d’une catacombe, sur le Janicule ou le long de la Voie Appienne. Pour retrouver
le calme, s’il le faut, donne-moi ta main camarade, prête-moi ton cœur compagnon, nous referons
les barricades et la vie, nous la gagnerons.
En bis une Valse
triste de Sibélius, retour à l’intime, lorsque l’on ne se retrouve plus qu’avec
soi à chercher la sérénité perdue. Subsistent encore quelques tensions, des
choix à faire. En second bis, l’Ouverture de Guillaume Tell de Rossini, qui
nous rappelle que la fierté d’un peuple ne s’abaisse pas à courber l’échine
pour saluer les oripeaux ridicules de l’oppression, que l’homme se dresse pour
garder sa liberté, qu’il se dressera d’autant plus haut qu’il lui faudrait
exposer la vie des siens.
Ah, j’oubliais,
nous avions commencé sur le Caprice Romain N°3 de Richard Dubugnon, compositeur
helvétique très applaudi. En de tels temps, un homme qui n’aurait que trois
caprices devrait être choisi sans hésiter comme un beau parti.
4 mai 2017
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