Le Festival de
Lucerne était placé cette année sous le thème de psyché, la puissance de la
musique. Cette ψυχη en laquelle les Grecs voyaient le souffle de la vie, l’âme comme
principe de vie et donc par extension la vie même. Trois concerts nous ont
apporté trois souffles de vie bien différents, nous menant de Robert Schumann à
Gustav Mahler, en passant par Johannes Brahms et Richard Strauss. Dans les
programmes proposés, la puissance de la musique relève du souffle de l’amour,
de la virtuosité, de la transfiguration, de l’espièglerie et de la nature.
Psyché divisée, mais apaisée
Le premier concert,
le 28 août 2014, était entièrement consacré à Robert Schumann, nous proposant
successivement l’Ouverture, Scherzo et Finale, opus 52, le Concerto pour piano,
opus 54, et la Deuxième Symphonie, opus 61. Le Chamber Orchestra of Europe
était confié à la direction de Bernard Haitink, le piano aux doigts de Murray
Perahia.
L’essai en anglais
de Thomas May, dans le programme de la soirée, titrait sur la psyché divisée de
Schumann, sur sa quête de cohérence musicale. Il cite la biographie que John
Daverio a consacrée à Robert Schumann, pour décrire la manière dont Schumann
absorbait ce qui venait des premiers poètes et philosophes du romantisme comme
« a notion of literature that could
encompass all works of art through which the subject attempted to represent
itself adequately ». En d’autres termes, « by extending beyond the portrayal of the sensible to a representation
of Kant’s idea of reason, literature was meant to offer a solution to the
problem of the subject unrepresentable to itself ». C’est ce que
Schumann aurait envisagé en musique, dans le fameux dualisme de sa
personnalité, représenté par lui-même sous les traits alternatifs d’Eusebius et
de Florestan. Il y a plus. Si le souffle de vie fondamental de Schumann vient
de la musique et de ses voix intérieures qui finiront par le submerger et le
tuer, son âme est également profondément liée à celle de Clara, dans un amour
absolu qui lui inspira ses plus belles pages. Il y a toujours chez Schumann une
instabilité importante, celle qui le mènera à se jeter dans le Rhin puis à
finir sa vie dans un asile d’aliénés. Il y a dans sa musique, pour qui accepte
de la suivre, quelque chose qui place chacun face à ses propres faiblesses et
c’est surtout vrai, me semble-t-il, de cette Deuxième Symphonie. Ecouter
Schumann, l’entendre vraiment, c’est s’approcher dangereusement de la rive,
avoir envie de se jeter à l’eau sans s’y noyer pourtant, surnager, revenir à
soi, s’enivrer de l’amour pour Clara sans pouvoir l’exprimer.
Le Chamber
Orchestra of Europe est un magnifique orchestre et Bernard Haitink nous offre
un Schumann apaisé, comme s’il nous livrait ses mémoires d’outre-tombe. Chateaubriant
n’écrivit-il pas lui-même dans la préface de ses Mémoires : « Les
formes changeantes de ma vie sont ainsi entrées les unes dans les autres :
il m’est arrivé que, dans mes instants de prospérité, j’ai eu à parler de mes
temps de misère ; dans mes jours de tribulation, à retracer mes jours de
bonheur. Ma jeunesse pénétrant dans ma vieillesse, la gravité de mes années
d’expérience attristant mes années légères, les rayons de mon soleil, depuis
son aurore jusqu’à son couchant, se croisant et se confondant, ont produit dans
mes récits une sorte de confusion, ou, si l’on veut, une sorte d’unité
indéfinissable ; mon berceau a de ma tombe, ma tombe a de mon
berceau ; mes souffrances deviennent des plaisirs, mes plaisirs des
douleurs, et je ne sais plus, en achevant de lire ces Mémoires, s’ils sont
d’une tête brune ou chenue ». Nous sommes le 14 avril 1846 lorsque
Chateaubriand écrit ces lignes à Paris. Schumann, outre-Rhin, a trente-six ans
et il vient de revoir et de publier la partition de l’Ouverture, Scherzo et
Finale, opus 52, de finir le Concerto pour piano, opus 54 et surtout de
terminer sa Deuxième Symphonie ; il mourra dix ans plus tard.
Les deux œuvres
orchestrales qui suivent de près la Première Symphonie, opus 38, présentent
d’importantes innovations et forment, avec elle, un ensemble de trois
symphonies complémentaires, rédigées sur une période plus brève encore que la
trilogie finale de Mozart, l’été 1788. Ouverture, Scherzo et Finale est un
triptyque entier et non une symphonie inachevée, à laquelle manquerait un
quatrième mouvement, en l’occurrence, un mouvement lent, qui serait venu
classiquement en deuxième position. Après une création malheureuse à Leipzig le
6 décembre 1841, Schumann retouche sa partition à Dresde, à partir du 9 octobre
1845. Remaniée, l’œuvre sera publiée en 1846. Le premier mouvement fait penser
à une ouverture féérique à la Obéron
de Weber, à Mendelssohn ou à Berlioz. Pour compenser l’absence de mouvement
lent, l’introduction, Andante con moto,
prend une place essentielle, avec ses deux phrases alternées, qui représentent
le matériau du triptyque. L’Allegro adopte
une forme parallèle de sonate sans développement central, chère à Schumann mais
tout aussi caractéristique des ouvertures d’opéras. Le Scherzo, vivo amplifie la forme de la gigue pointée, que l’on
retrouve notamment dans les pièces pour piano, opus 32. Le Finale, Allegro molto vivace est volontaire et
complexe. L’œuvre, manifestement destinée à séduire le public, en a pourtant toujours
été boudée. Absence de repos central, crescendo agogique implacable, il y a là
comme une douloureuse frénésie que la baguette subtile et poétique de Bernard
Haitink tempère remarquablement, lui offrant a posteriori sinon le repos
manquant, au moins l’apaisement de l’âge qui permet de voir, avec le recul
d’une vie, les ombres qui portent Schumann, qui ce soir les regardait de loin.
Le Concerto pour
piano, opus 54, représente la fusion de Robert et de Clara, de l’orchestre et
du piano, dans une œuvre jaillissante et unitaire. Schuman, qui louait les
concertos de Chopin depuis 1836, était parfaitement familier du genre, mais son
concerto est passé par plusieurs étapes, commencé comme une Fantaisie refusée
par six éditeurs, pour finalement trouver sa formulation finale. Double
création, à Dresde le 4 décembre 1845, surtout le 1er janvier 1846,
au Gewandhaus de Leipzig, avec Clara au piano et Mendelssohn à la direction.
Double triomphe également, qui ne s’est jamais démenti depuis. L’amour de Clara
est renforcé par la source de la création de Schumann, à rechercher dans les
ouvertures de Léonore de Beethoven et par voie de conséquence dans Fidélio, cet
hymne à la fidélité conjugale. Ah !
Meine Clara, was hast du für mich getan ? – Nichts, nichts, mein Florestan.
Sous les doigts de Murray Perahia, la finesse et la poésie rejoignent la
direction de Bernard Haitink. Le chef et le pianiste se connaissent
parfaitement depuis des décennies et tous deux offrent ici ce même apaisement,
celui qui pourrait être d’un couple qui, après de nombreuses années de mariage,
les passions dépassées, se remémore leurs ardeurs débutantes. Il y a là comme
un regard rétrospectif, la jeunesse pénétrant dans la vieillesse, la gravité
d’années d’expérience attristant d’autres années légères, les rayons d’un
soleil, depuis son aurore jusqu’à son couchant, se croisant et se confondant
dans la composition et l’interprétation de l’œuvre.
En seconde partie
de concert, la Deuxième Symphonie, en ut majeur, opus 61, complétait cette
pénétration mutuelle de la jeunesse d’un Schumann mort jeune et de la
vieillesse d’un chef qui, a 85 ans, porte sur les partitions qu’il dirige le
regard d’une vie. Cette deuxième symphonie est en fait la quatrième composée
par Schumann, après la Première, dite Le Printemps, l’Ouverture, Scherzo et
Finale donné en première partie, et la première mouture de ce qui sera
finalement décompté comme quatrième symphonie et se verra attribuer, après
révision, le numéro d’opus 120. Créée par Mendelssohn au Gewandhaus de Leipzig
le 5 novembre 1846, elle n’obtint pas le succès escompté, même si l’impression
mitigée est rachetée par une reprise réussie le 16 novembre suivant. Les
contemporains ont néanmoins senti l’ampleur de l’enjeu et complimentèrent
Schumann d’avoir égalé le Beethoven de la Cinquième Symphonie, mais la durée,
la longueur de l’introduction, la tonalité comme la formation instrumentale
renvoient également à la Grande Symphonie en ut de Schubert. C’est la grande
symphonie-drame de Schumann, aussi significative que les Musikdramen de Wagner. Gestation brève et fébrile de l’œuvre,
orchestration plus lente ensuite, c’est une œuvre de convalescence après de
long mois de maladie qui l’épuisèrent dans des hallucinations auditives qu’il
ne parvenait pas à maîtriser. Dans une lettre du 2 avril 1849, Schumann
expliquera : « J’ai composé la
symphonie en décembre 1845, encore à moitié malade ; il me semble qu’on
doit s’en apercevoir en l’écoutant. C’est seulement dans le dernier mouvement
que je me suis senti moi-même de nouveau ; maintenant, je vais mieux, depuis
que j’ai fini l’œuvre entière. Et pourtant elle me fait surtout penser à des
jours sombres ». Même regard apaisé par le recul d’une vie plus longue
dans la direction de Bernard Haitink, fusion toujours, interpénétration de la
jeunesse et de la vieillesse, Schumann tel qu’il eût été, eût-il davantage vécu,
restauration de son âme dans le souffle d’une vie.
Psyché virtuose, transfigurée, mais espiègle
Avec le deuxième
concert, c’est le Royal Concertgebouw Orchestra, sous la direction de Mariss
Jansons qui occupait la scène. Pour ouvrir cette soirée du 5 septembre 2014, le
Concerto pour violon de Brahms était confié à l’archet de Leonidas Kavakos. Aujourd’hui
l’un des concertos pour violon les plus joués, l’œuvre a cependant eu du mal à
s’imposer. Elle déplaisait. Pablo Sarasate avait eu à son sujet ce mot a
posteriori peu inspiré : « Me
croyez-vous assez dépourvu de goût pour me tenir sur l’estrade en auditeur, le
violon à la main, pendant que le hautbois joue la seule mélodie de toute
l’œuvre ! ». Gabriel Fauré la trouvait quant à lui triste et
monotone. Pourtant le premier mouvement présente une physionomie très proche de
celui du Concerto de Beethoven, en ré majeur à ¾, amplement charpenté en forme
sonate. Dans ce premier mouvement tout est pourtant mis en œuvre pour faire
briller le soliste, en lui posant de redoutables problèmes techniques à
surmonter – ce que fait parfaitement Leonidas Kavakos, sans effort apparent,
montrant par là la suprême maîtrise qu’il a de cette partition qu’il joue
régulièrement. Brahms n’a pas composé de cadence et celle que l’on joue
habituellement et notamment ce soir là, est celle écrite par Josef Joachim, dédicataire
de l’œuvre. L’Adagio central commence
par une introduction orchestrale où l’on entend la mélodie de hautbois décrite
par Sarasate, lequel oubliait dans son ire que le violon la reprend
immédiatement et l’ornemente de façon expressive pour peu à peu nous guider
vers la fin du mouvement, qui se termine dans un sentiment extatique. Le
Finale, Allegro giocoso, ma non troppo
vivace, puis Poco più presto, est
un rondo librement traité. Dans les choix de tempi de Jansons et Kavakos, l’on
insistait ici essentiellement sur le non
troppo. Le geste est ample, respire. L’orchestre est loin de se limiter à
une simple mission d’accompagnement et est traité d’une façon très symphonique,
avec un instrument soliste complètement en dehors de l’orchestre. Pour en
donner une interprétation réussie, il faut donc tout à la fois un grand
soliste, un grand orchestre et un grand chef, ce que nous avions ce soir. Les
timbres de l’orchestre sont fabuleux et le hautbois notamment mérite tous les
éloges, que l’on aurait cependant tort de refuser aux autres pupitres, des
vents en premier lieu. Il y a encore dans cet orchestre une identité sonore qui
lui est propre et qui fait que l’entendre suffit à faire de la soirée un
événement exceptionnel.
En seconde partie
de programme, deux poèmes symphoniques de Richard Strauss, aux ambiances bien
différentes. Tod und Verklärung a été
créé à Eisenach, sous la direction du compositeur, le 21 juin 1890. Lors de la
première viennoise de l’œuvre, dirigée par Han Richter, le 15 janvier 1895, le
critique Edouard Hanslick écrivit que le talent de Strauss ne pouvait que le
mener vers le drame musical. Chose curieuse, le poème d’Alexandre Ritter a été
écrit après la partition de Strauss. L’on y voit un homme gisant dans un
misérable réduit, à peine éclairé par une veilleuse. La mort l’approche, il
halète péniblement, la lutte, la terreur l’épuisent. Il s’accroche un instant à
une image paisible, un souvenir d’enfance dans un répit par trop fugace. La
mort se précise, la lutte s’intensifie mais l’énergie du désespoir pousse le
mourant vers la vision de la délivrance. Il voit défiler devant lui les étapes
de sa vie, l’innocence de son enfance, les jeux de l’adolescence, les combats
de la maturité, les épisodes amoureux aussi. La lutte contre la mort s’avère
enfin inutile et son âme trouve outre-tombe la paix à laquelle elle aspirait. C’est
l’épisode final, serein, lumineux, de la transfiguration.
Jansons adopte des
tempi amples, comme dans le concerto de Brahms, ce qui permet aux différents
pupitres de l’orchestre de briller de toute leur beauté sonore.
Avec les Joyeuses
équipées de Till l’Espiègle, on change de registre même si l’on reste dans l’un
des exemples les plus poussés de musique à programme. Strauss se contente de
souligner l’anecdote sans l’analyser, de sorte qu’il faut connaître ces
équipées légendaires pour apprécier la partition. Strauss rompt ici franchement
avec la gravité de ses autres poèmes symphoniques, pour aborder la légèreté,
approcher la bouffonnerie avec un sens de l’humour qu’on lui retrouvera dans Der Rosenkavalier ou Ariadne auf Naxos. Le célèbre motif de
Till est d’abord confié au cor, usuellement présenté, et c'est particulièrement vrai ce soir, comme l'âme, cette psyché, de l'orchestre. Till est un joyeux farceur bousculant à cheval les
femmes du marché, courtisant les jolies filles, s’amourachant vainement de
l’une d’elle. Il en vient à développer des thèses hallucinantes devant de
pédants philistins, sifflote, ironique, une chanson des rues. Il devient de
plus en plus insupportable, son cynisme, sa désinvolture, dérangent le peuple
qui se saisit de lui, le juge et le condamne ; il finit pendu haut et
court. L’humour reste immortel dans la riposte des dernières mesures de
l’œuvre, dans lesquelles Romain Rolland voyait du Mendelssohn très raffiné.
Transition
difficile après le poème précédent au programme moins frivole, mais réussie.
Démarrant tranquillement la partition, les joyeuses équipées de Till
l’Espiègle s’emballent dans des accélérations qui montrent la virtuosité
extraordinaire de cet orchestre, jusqu’au clin d’œil final. Heureusement que
l’humour est éternel, il permet d’alimenter aussi la psyché des hommes, qui
serait bien triste autrement.
Psyché angoissée, mais lumineuse
Troisième soir
enfin, le 8 septembre 2014, avec l’Orchestre du Gewandhaus de Leipzig, dirigé
par Alan Gilbert. Au programme la Troisième Symphonie de Gustav Mahler, celle
qui contient sans doute le souffle de vie le plus vaste, le plus important, qui
embrasse, dans le songe d’un matin d’été, plus exactement dans le travail de
deux étés successifs, de 1895 et 1896, la Création toute entière. Après avoir écrit, selon ses propres
termes, avec tous les moyens techniques à sa disposition, sa première symphonie
cosmique, puis la deuxième, la composition de la Troisième Symphonie semble
avoir été pour Mahler moins complexe que les deux précédentes, une vraie lune de
miel avec sa muse, se plaisait-il à relever. Cette pièce hors norme est un gigantesque hymne à la nature,
celle dont il pouvait profiter dans ses retraites estivales sur les hauts de l’Attersee
et des montagnes environnantes.
On connaît la
célèbre anecdote de Bruno Walter visitant son mentor cet été là et regardant le
paysage, lorsque Mahler lui dit qu’il n’avait pas besoin de s’en soucier, qu’il
avait déjà tout mis dans sa partition. En allemand, la citation est plus
intéressante : « Sie brauchen
gar nicht mehr hinzusehen – das habe ich schon alles wegkomponiert ».
Par ce terme de « wegkomponiert »,
l’on sent mieux à quel point Mahler a retiré le paysage du décor naturel pour
le porter tout entier dans sa partition, au point qu’il n’y a, littéralement,
plus rien à voir autour de lui.
L’introduction
représente, selon le programme bien connu de l’œuvre, l’éveil de Pan, avant que
l’été ne fasse son entrée avec le cortège de Bacchus. La deuxième partie
raconte le monde, avec des mouvements successifs aux titres évocateurs :
ce que me content les fleurs des champs, les animaux de la forêt, l’homme, les
anges, puis enfin l’amour. Dans cette œuvre transparaît également le grand lecteur
de Nietzsche qu’était Mahler, avant de s’en détourner complètement, sa vision
du monde ne pouvant s’accorder avec le refus total par Nietzsche du concept
traditionnel de Dieu. Avec le Gai savoir, l’homme consent à ignorer les vérités
essentielles, il doit saisir une pensée et bondir à la suivante. Il doit
absolument, comme Zarathoustra, chanter et danser, être joyeux dans
l’innocence, sans rechercher ailleurs réconfort ni protection.
C’est un passage de
Also sprach Zarathustra que retient
Mahler comme texte de son quatrième mouvement, supérieurement chanté ce soir par Gerhild Romberger, qui ouvre sur un O Mensch sorti comme un souffle aux origines inouïes, qui vient du plus profond de soi, de la vie exprimant l'âme à la recherche du souffle infini de la nature, de la profondeur de la nuit et des rêves les plus profonds, ceux qui portent le désir vers l'éternité :
Was spricht die tiefe
Mitternacht ?
Ich schlieff ! Ich
Schlieff !
Aus tiefem Traum bin ich
erwacht !
Die Welt ist tief !
Und tiefer als der Tag
gedacht !
Tief ist ihr Weh !
Lust – tiefer noch als Herzeleid !
Weh spricht :
Vergeh !
Doc halle Lust will
Ewigkeit !
Will tiefe, tiefe Ewigkeit !
Les points d’exclamation à chaque fin de vers disent l’outrance habituelle de Nietzsche et la puissance de la partition de Mahler. Est-ce là donc ce que l’homme conte au compositeur ? Cette profondeur de la nuit, de la détresse, de la souffrance, mais heureusement, toute joie cherche l’éternité, cette éternité lumineuse que les chœurs de femmes et d’enfants apporteront au mouvement suivant, avant le grand Finale, marqué Langsam, Ruhevoll, Empfunden. Il y a beaucoup de retenue dans les indications de la partition, dont la plus sensible est sans doute ce Unmerklich drängend (mesure 214) qui dit tant de choses.
L’Orchestre du
Gewandhaus de Leipzig est merveilleux dans ces pages de Mahler qu’il connaît si
bien depuis si longtemps. L’on attendait moins sans doute dans ce répertoire le
chef américain Alan Gilbert que Riccardo Chailly, initialement annoncé dans le
programme du festival. Il dirige cette partition titanesque avec beaucoup de
passion et d’amour, sans parvenir à y mettre toute la recherche que l’on
pouvait attendre de Chailly. Les dernières mesures manquaient un peu de cette
tension que l’on sentait si palpable à Vienne avec Bernstein par exemple, tension qui doit
nous laisser le souffle apaisé, dans une paix complète et sincère que l’on
parvenait néanmoins à trouver suffisamment pour ne pas vouloir sortir vers un retour au
monde. Dans la nuit, sur les bords du Lac des Quatre Cantons, il n’y avait plus
de paysage autre que la mémoire de cette partition essentielle.
10 septembre 2014
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