dimanche 19 avril 2015

PROGRAMME INEGAL AUTOUR D’UN TALENT SUISSE


La série des Concerts organisés par Migros Classique en est à sa soixante-et-unième saison et se penche avec raison sur de jeunes talents musicaux suisses, ce soir le Zougois Reto Biéri à la clarinette.
Le Kammerorchesterbasel (KOB) était donc ce 22 janvier 2010 sur la scène du Victoria Hall de Genève. Lorsque l’on parle de formation bâloise, le souvenir de Paul Sacher (1906-1999) reste vif, tant la vie musicale du XXème siècle lui est redevable des nombreuses créations qu’il a suscitée, de Bartók, Stravinski ou Strauss à Berio, Carter et Rihm par exemple, et la vie bâloise des formations créées, notamment le Basler Kammerorchester, en 1926, préfiguration du KOB. Les débuts du KOB remontent à 1984, autour de jeunes musiciens réunis pour créer un ensemble autonome à même de réunir la musique ancienne et le répertoire contemporain.
Ce soir, la formation chambriste était placée sous la direction du plus jeune des Järvi, Kristjan, fils de Neeme et frère cadet de Paavo, tous trois chefs d’orchestre de renommée internationale – le père sera d’ailleurs à la tête de l’OSR pour un prochain programme d’abonnement. Kristjan Järvi a grandi à New York où sa famille s’est établie après avoir quitté l’Estonie, où il a appris le brassage des genres. Toujours prompt à s’enflammer dans des comparaisons hasardeuses, le New York Times à parlé de lui comme d’une force cinétique sur le podium, comme une renaissance de Léonard Bernstein. Sans aller jusque là, le parcours de ce jeune chef est bon, passant par une collaboration avec Esa-Pekka Salonen à la Philarmonie de Los Angeles, à la direction de l’Orchestre symphonique de l’Opéra de Norrlands, puis à Vienne, dont il a été le chef attitré du Tonkünstler Orchester. Il est aujourd’hui conseiller artistique du KOB. Il y a c’est vrai dans sa direction un engagement puissant, une énergie déployée avec un sourire ravageur et des mouvements du corps, des épaules et des hanches, qui peuvent rappeler de loin en loin un Bernstein. Tout ceci ne suffit pas à développer un vrai projet musical autour des œuvres programmées et cette bonne humeur nous a semblé parfois creuse. Le programme surtout relevait d’un patchwork mettant bout à bout des pièces dont on peine à voir la cohésion, ce qui n’aidait pas à apprécier totalement ce concert.
Le programme s’ouvrait sur Reto Bieri, dans la Première rhapsodie pour clarinette et orchestre de Claude Debussy, au titre trompeur puisqu’il n’y en eut jamais d’autre. C’est l’un des deux morceaux composé par Debussy en 1910 et imposé aux élèves du Conservatoire de Paris pour le concours de cette année là, et c’est selon son auteur l’œuvre la plus aimable qu’il ait composé. Reto Bieri s’y montre souverain, développant de très belles sonorités dans une grande écoute mutuelle avec l’orchestre. Ce fut une très belle interprétation de cette œuvre rarement donnée au concert.
Suivait la Sarabande, toujours de Debussy, mais dans une orchestration de Ravel, cette pièce étant en fait le sommet musical de Pour le piano. La richesse inventive de Debussy alliée au génie de l’orchestration de Ravel donne une œuvre brève mais aux milles couleurs que l’orchestre peinait un peu à rendre dans toutes leurs complexités.
Le Concerto pour violoncelle, de Robert Schumann était la pièce maîtresse de cette première partie de programme, confiée à l’archet majeur de Mischa Maïski, violoncelliste qui est le seul à avoir étudié tant avec Mstislav Rostropovitch qu’avec Grigor Piatigorski, et qui a connu les camps de travail soviétiques pour avoir acheté frauduleusement un magnétophone avec lequel il voulait enregistrer les cours de Rostropovitch ! Si l’on a entendu Maïski donner souventes fois de grandes versions de cette œuvre, il est passé ce soir complètement à côté et ce n’est pas dénigrer son talent que de le dire. L’alchimie d’un concert est chose difficile à cerner, parfois elle ne prend pas. C’est le lieu de souligner que ce qui est à mon sens la plus belle version au disque de ce concerto a justement été enregistré dans cette salle du Victoria Hall, avec l’OSR dirigé par Ferenc Fricsay et le violoncelle souverain de Pierre Fournier, un soir de février 1957.
Deux œuvres symphoniques nous étaient proposées en seconde partie de concert, Le Tombeau de Couperin de Ravel et Ouverture, Scherzo et Finale de Robert Schumann. Dans les deux cas, le chef montre une fougue certaine et beaucoup de dynamisme dans sa direction, l’orchestre est souple et de belle couleur. Néanmoins, le Ravel tombe à plat dans ses premiers mouvements, le Prélude : Vif, est simplement vif mais ça ne suffit pas, la Forlane : Alegretto manque de vivacité justement, peut-être simplement prise trop vite, le Menuet : Allegro moderato est plus intéressant et permet d’accueillir le Rigaudon : Assez vif final avec toute la force cinétique requise. La fausse symphonie de Schumann était par là lancée et se déroula fort bellement, mais sans grande maturité. L’apport de Schumann est, du fait de son état de santé psychique sans doute, qu’il vous met toujours face à vos propres faiblesses. Celles de Kristjan Järvi hier soir résidant sans doute dans l’absence de traitement de ces failles de la personnalité et de l’œuvre, sur lesquelles on passe comme on les ignore, sans les approfondir ni en chercher le sens.
Ce fut globalement un concert un peu débridé dont je n’ai pas saisi le fil conducteur du programme et dont le sommet fut l’ouverture avec le talent suisse déjà nommé, que l’on espère voir davantage dans de futurs programmes.

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