dimanche 19 avril 2015

DE LA DIFFICULTE DE FAIRE QUELQUE CHOSE DE BEETHOVEN


Le deuxième concert de la Série Symphonie de l’OSR, ce 17 novembre 2011, offrait un programme germanique tournant autour du rare et superbe Concerto pour hautbois et petit orchestre en ré majeur, de Richard Strauss, confié au long souffle profond de François Leleux.
Ouvert sur une symphonie de Haydn, la quarante-et-unième en ut majeur, qui ne marqua guère les esprit, donnée dans un style pompeux et trop lourd pour retrouver le caractère qu’aimait à rappeler Ernest Ansermet, lequel appréciait commencer un programme par une symphonie de Haydn, estimant que cela mettait tout le monde d’accord pour la suite. La suite, nous l’attendions sans nous arrêter à une œuvre rare qui recèle pourtant toutes les qualités d’un compositeur que l’on a tendance à présenter comme le fondateur du genre mais qui était donnée ce soir comme une ouverture insignifiante.
Dans Capriccio, son dernier opéra, Strauss fait dire à La Roche, directeur de théâtre de son état : « Où est le chef-d’œuvre moderne qui parle aux cœurs des gens, qui reflète leurs âmes ? ». L’ayant ainsi écrit sous la forme délicieusement désuète d’une conversation en musique d’une rare finesse tournant le dos à la guerre qui détruit l’Europe, en cette année 1942, Strauss composa en ses dernières années des œuvres d’une rare finesse d’écriture et d’une profondeur apaisante. Alors que tout s’effondre, il donnera encore Metamorphoses, achevées avec la chute de Berlin en avril 1945. Les troupes américaines arrivent à Garmisch et Strauss et sa famille se retrouvent sous la protection d’officiers américains heureusement mélomanes, dont l’un, hautboïste à l’Orchestre de Philadelphie, lui demande d’écrire une pièce pour son instrument. Réfugié en Suisse, Strauss y finira son Concerto pour hautbois, y écrira son Double concerto pour clarinette, basson et cordes et terminera sur les Quatre derniers Lieder. C’est à l’Orchestre de la Tonhalle de Zurich que reviendra, en 1946, la création du Concerto entendu ce soir.
François Leleux, qui fit ses débuts à l’âge de dix-huit ans comme hautbois solo de l’Orchestre de l’Opéra de Paris a ensuite mené une carrière de musicien d’orchestre et de soliste. Cherchant à étendre le répertoire de son instrument, il est le dédicataire de nombreuses œuvres contemporaines. Il a ce soir présenté toutes les meilleures facette d’un hautbois qui demeure rare comme instrument soliste, dans une œuvre emblématique du genre qui nous montre un Richard Strauss encore maître de ses talents de compositeur et qui tend ici comme dans ses dernières œuvres, un miroir à l’esthétique de son temps, redécouvrant le baroque et rejetant l’atonalité pour lui préférer un néoclassicisme charmant et virtuose, non dénué d’un humour nous ramenant aux folles aventures de Till l’espiègle. Le rejet de la guerre et le désarroi devant l’effondrement de l’Allemagne lui inspirent des pièces intimes, qui offrent un oubli du présent permettant l’abandon favorable à une réelle écoute du jeu de l’instrumentiste.
En tout point remarquable, le son de François Leleux a envoûté, réjoui, charmé et distrait un public acquis à sa cause dans moment de repos éloigné du monde. Offrant en bis, dans un clin d’œil affiché à la crise actuelle, une charmante et drôle composition d’Antal Dorati sur la fable de la cigale et la fourmi, il chanta et dansa une pièce dont chaque note nous faisait nous ressouvenir du texte de La Fontaine, singeant les discours de la fourmi comme de la cigale dans des timbres et attitudes opposées montrant une parfaite maîtrise de son instrument, un virtuosité infaillible lui ouvrant les portes d’un humour décalé.
Après avoir ainsi dansé et chanté, nous nous trouvâmes néanmoins fort dépourvus ensuite, non que l’hiver fût tôt venu – ce mois de novembre est bien plus chaud qu’à l’accoutumée et la cigale pourrait y chanter encore quelque temps sans doute avant que d’affronter le caractère peu prêteur de notre fourmi – mais que cette interprétation de la Deuxième Symphonie de Beethoven en seconde partie de concert fût décevante. A l’heure où Riccardo Chailly sort une intégrale des symphonies de Beethoven avec le Gewandhausorchester de Leipzig, la question de savoir quoi faire de soi non pas après Beethoven comme nous la posions dans un précédent billet, mais dans Beethoven, se pose avec acuité. Certes, Chailly possède l’orchestre dédié à Beethoven par excellence, celui-ci y ayant dirigé lui-même les deux premiers cycles de ses symphonies donnés comme tels et étant ensuite continûment resté au répertoire de cette splendide phalange. Chailly a quelque chose à dire dans Beethoven. A propos de la Deuxième Symphonie, il écrit, dans la présentation du coffret qu’il vient de publier (DECCA) : « L’introduction lente paraît faire référence à Mozart ou Haydn, et les séries de trilles renvoyer aux structures de la musique baroque. Pourtant à la mesure 12, Beethoven brise la façade néo-baroque ». Il y voit, dans l’enchaînement qui suit, un exemple de l’humour subtil de Beethoven, pour autant que ses indications de tempo soient fidèlement respectées. Le Finale est ainsi « incroyablement moderne », aux côtés duquel celui de l’Héroïque fait figure, pour Chailly, de triomphe du classicisme ! Le tempo de 152 à la blanche voulu par Beethoven et tel qu’exécuté par Chailly, donne une vitalité folle à ce mouvement et à toute la symphonie, qui a toujours été pour moi, l’une de mes préférées du Maître.
Las, rien de tel avec Janowski. Il est vrai que l’OSR n’a pas dans Beethoven la légitimité du Gewandhaus et que son chef actuel frôle moins souvent et de plus loin le génie que Chailly. Janowski m’a semblé continuellement hors sujet dans cette œuvre et l’orchestre ne pas savoir ce que l’on attendait de lui. Imprécis, flottant parfois au-delà de ce qui peut être accepté d’une formation de ce niveau, il offrait une bien pauvre banalité dans une œuvre manifestement sous-estimée et dont on a sans doute eu le tort de penser qu’elle se jouerait toute seule. Oublions cela en revenant dans l’air du temps.
20 novembre 2011

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